Depuis quelques temps, une certaine agitation régnait dans les couloirs de l’impressionnant bâtiment, base des partisans de la paix les plus engagés. Passés les récents événements survenus en ville, divers représentants de l’ordre multipliaient les missives à l’attention de leurs collègues, dans le but d’échanger des informations de dernière minute. Dire que tous travaillaient au même endroit ou presque, se croisaient quelques fois au détour d’un escalier mais gardaient cette habitude de correspondre par écrit, parfois par mail dans le meilleur des cas. Aucun n’était fichu de prendre les choses en main pour réunir tous ses interlocuteurs en même temps, autour d’une table et mettre les choses au clair entre eux. N’était-ce pas là une solution plus pratique que de se répéter sans arrêt, faute de pouvoir transmettre l’information à tous à la fois ? La nervosité avait finalement gagné ses collègues, y compris Jack, qui craignaient que quelqu’un ne finisse par leur reprocher l’évasion de quelques prisonniers l’autre jour. Des rumeurs dérangeantes circulaient au-sujet du gardien de la prison. Certains disaient qu’il s’agissait d’un homme trouble, inquiétant mais pour sa part, Natsume ne l’avait jamais rencontré. Les mauvaises langues pouvaient bien dire ce qu’elles voulaient, cet individu ne pourrait certainement pas avoir une plus mauvaise réputation que lui, darkness jusqu’au fond de l’âme. Aussi ne prêtait-il pas attention aux bruits de couloir. Le moment venu, il se ferait sa propre opinion du personnage, pas avant. Sans doute que ces mêmes collègues avaient d’autant plus peur des retombées de l’affaire d’évasion sur leur travail et leur salaire, que l’enlèvement survenu à l’université, antérieur pourtant, n’arrangeait rien à leur situation. Cela faisait beaucoup de
fautes en peu de temps, nul doute que leurs supérieurs allaient réagir. Malgré tout, l’albinos conservait un calme insolent d’après les mots de Jack. Comme s’il n’avait rien à se reprocher ! Loin de lui cet état d’esprit, bien au contraire, mais le garçon lui répliquait alors avec humeur que se ronger les sangs n’arrangerait rien. Chose que son collègue avait encore un certain mal à accepter…
Surpris d’être convoqué par la représentante des lycans en personne, une dénommée Calypso Vangelis, à une conférence portant sur l’enlèvement de plusieurs individus à l’université, le darkness s’y rendit tout de même, non sans traîner les pieds. Il ne pensait pas avoir sa place dans cette réunion. N’était-ce pas aux hauts gradés, représentants comme lieutenants de police, qu’incombaient la responsabilité de ce genre d’événement ? Après tout, on les avait nommés parce que jugés aptes à prendre des décisions, pour que les hommes de main et subordonnés –lui en l’occurrence- puissent recevoir des directives, afin d’être guidés pour exécuter à bien leurs missions. Alors pourquoi s’y rendre ? Parce que Natsume nourrissait l’espoir de voir ses souhaits réalisés. Depuis la conférence de l’université, il n’avait eu de cesse d’essayer d’enquêter de son propre chef sur place. Il revoyait clairement les attributs physiques hors normes de cette personne. Il fallait qu’il le retrouve. Quelque chose, son instinct ou une sorte de 6ème sens, appelez ça comme vous le voulez, lui dictait que cet homme y était pour quelque chose dans toute cette histoire. Et l’albinos avait grandement envie de lui faire cracher tout ce qu’il savait. Avec les moyens nécessaires si besoin. Malheureusement pour lui, deux obstacles de taille se dressaient sur sa route : tout d’abord, il y avait le doyen de l’université, lequel n’acceptait pas d’interrogatoires informels des personnes sous sa responsabilité. En honorable personne qu’il était, il constituait le mur, le médiateur entre le corps enseignant, le personnel de l’université et leurs divers interlocuteurs, qu’il s’agisse de policiers ou de journalistes d’ailleurs. L’individu faisait preuve d’une conviction inébranlable, gênante même. Ensuite, venaient les forces de police elles-mêmes. Elles avaient la main mise pour enquêter sur place et n’aimaient pas que l’on vienne fouiner à leur place, membre à part du Cercle ou non. Sans l’accord officiel d’un supérieur, pas question pour le garçon de mettre les pieds à l’université dans le but d’interroger des témoins ou d’éventuels suspects. Depuis ce jour-là, les forces de l’ordre ne cessaient d’aller et venir au sein de l’université, à tel point que les étudiants et les professeurs avaient fini par s’habituer à leur présence quotidienne. Impossible pour lui donc, de mener sa petite enquête, vous l’aurez bien compris.
Tout en arpentant les couloirs en direction de la salle où allait se dérouler ladite réunion, Natsume se demandait comment il allait bien pouvoir plaider sa cause. Pour avoir assisté à la conférence universitaire en question, il possédait quelques informations de première catégorie, la plupart basées sur sa propre intuition. Mais il avait également laissé œuvrer les rebelles, lui, un partisan du Cercle ! On allait certainement se poser des questions à son sujet. Sa nature de darkness seule justifiant à le placer du côté des opposants à la paix… Les rumeurs allaient croître et les suspicions naître enfin pour les rares qui ne remettaient pas encore en doute son acceptation au sein de leurs rangs. Forcément, sa façon d’être lié à l’incident n’allait pas jouer en sa faveur… Cependant, le taire ne ferait qu’aggraver son cas, le jour où tout serait découvert, autant crever l’abcès de suite, non ? Le garçon n’eut pas de mal à trouver et poussa la porte qui s’offrait à lui. Une immense pièce fut soumise à son regard mais il se posa aussitôt sur les visages des personnes qui se trouvaient déjà là. A vrai dire, hormis une petite tête blonde qu’il se rappelait vaguement avoir déjà croisé en compagnie de Jack, aucun visage ne lui était familier. Ce qui le fit se renfrogner un peu plus. Super. Il était passé où l’autre abruti aux oreilles de chat ?! Jamais là quand on avait besoin de lui celui-là ! Et le fameux homme avec qui il avait combattu des vampires ? Curieux ça… L’albinos prit place, un siège un peu à l’écart, donnant sur la porte, histoire de repérer chaque nouvel arrivant. L’espoir d’apercevoir un visage familier ne l’avait pas complètement abandonné. D’ailleurs, en promenant un peu plus son regard sur les personnes présentes, l’une d’entre elles attira son attention. Aurait-il parlé ou pensé un peu trop vite ? Oui, ces traits, cette chevelure blanche et ses iris de la même couleur que la sienne… Natsume faillit s’étrangler de surprise.
« Maria ?! Pourquoi, comment… ? »
Les mots ne franchissaient pas ses lèvres, même si les questions, elles, se multipliaient dans sa tête. Mais qu’est-ce que son amie fichait ici ? D’accord, lors de leur dernière rencontre, l’intéressée avait laissé entendre son désir de rejoindre les forces du Cercle mais de là à se trouver ici… Elle aurait pu lui en toucher un mot merde ! La bouche ouverte bêtement, le darkness enchaînait les coups d’œil en direction de la vampire, faisant parfois de drôles de têtes, histoire de lui faire comprendre l’interrogation dans laquelle il nageait depuis plusieurs minutes. Mais avant que son amie ne puisse se justifier, la porte s’ouvrit sur Jean Dame. Encore furibond de sa découverte passée, Natsume lui lança un regard torve en guise de bonjour. Pour le coup, il n’était plus aussi content de le voir… Le nombre de sièges encore vides diminuait au fur et à mesure que les arrivants prenaient place. Parmi eux, une jeune femme à l’allure assurée et au regard drôlement sérieux. Vu la place qu’elle occupait, l’albinos supposa qu’il devait s’agir de la fameuse Calypso Vangelis, représentante des lycans et chef des armées du Cercle de surcroît. Dommage qu’elle n’avait pas l’air d’être ici pour rigoler, elle avait un beau visage… Et cette lueur déterminée au fond de ses yeux ne fit qu’amplifier l’envie naissante du garçon. Après avoir jeté un regard sur l’assemblée, cette dernière prit enfin la parole, exposant des faits déjà connus de la plupart des personnes présentes. A la pensée qu’ils risquaient de devoir rester enfermés simplement pour se donner la parole sans rien apporter de nouveau, Natsume se sentit encore plus abattu. Mais pourquoi s’était-il rendu à cette putain de conférence déjà… ?! Un coude sur la table et la tête au creux de la paume du même bras, le darkness écouta distraitement ce qui se disait. La parole fut donnée à l’hybride mais ça ne le passionna pas plus. Ce que racontait ce type lui sortait toujours autant par les trous de nez… Même s’il devait admettre qu’il y avait aussi du bon dans ce qu’il prétendait. Pas si fou que ça en fin de compte. Une exclamation à son nom lui fit tourner la tête en direction de l’intéressé.
« … Quoi ? » grogna-t-il, sachant bien qu’il donnait une mauvaise image de lui à répondre de la sorte, à un supérieur de surcroît.
«
J’aimerai entendre ce que tu en pense. J’espère avoir retenu ton attention un peu plus cette fois. »
Le sourire qui étirait les lèvres de son interlocuteur lui déplut plus que jamais. Il se fichait de qui ce type ? Des collègues à lui étaient présents et il lui demandait de s’exprimer avant eux ? A leur place même ? Drôle de personnage… En plus, il n’avait pas fini de mettre de l’ordre dans ses idées ! Jean Dame le prenait de court là ! Casse-couilles avec ça ! L’albinos soupira. Maintenant que toute l’attention était dirigée sur lui, il ne pouvait pas se dégonfler et se contenter de renvoyer la balle à quelqu’un d’autre. Après tout, c’était grâce à cet homme-chat qu’il pouvait siéger ici, parmi eux.
« Tout ce que je vais vous dire, je le tiens de mon intuition. Je n’ai pas de preuves de ce que j’avance mais je sais que les rebelles sont derrière tout ça. Je le sais parce que j’ai moi-même assisté à cette conférence universitaire. » lâcha-t-il sur la fin.
Un silence pesant l’enveloppa ou du moins, il en eut la désagréable sensation. Et bien quoi ? Allez-y, balancez moi ce que vous contenez derrière vos lèvres ! Je m’y attends bande d’hypocrites ! Faisant de son mieux pour masquer son malaise et contenir son début de colère, le darkness reprit alors :
« La façon dont tout s’est passé n’avait rien de…naturelle. J’ai perdu connaissance, probablement après avoir inhalé un produit dans ce but. Je me rappelle vaguement que des ombres, des… silhouettes sont entrées dans l’amphithéâtre alors que l’assemblée était dans les vapes. Lorsque j’ai repris connaissance, plusieurs personnes s’étaient mystérieusement envolées. J’ai bien entendu participé aux recherches sur place mais aucune trace d’elles dans l’université ou ses environs proches. »Jusque-là, rien de nouveau pour eux. Ses propos venaient à peine confirmer l’hypothèse soutenue par la représentante des lycans mais ça s’arrêtait là. Il leur fallait davantage de précisions, d’indices… Sauf que Natsume ne savait pas trop comment aborder le problème suivant. Il ne voulait pas qu’on enlève l’opportunité de s’occuper de cet homme. Il en avait fait sa mission première ! Mettre en avant son amnésie puis ses souvenirs progressivement retrouvés mais de manière aléatoire, n’était certainement pas la meilleure façon de convaincre ses interlocuteurs. Au mieux, il passerait pour un fou, au pire, on cesserait de lui témoigner un semblant de confiance.
« Lorsque j’étais encore humain, je me suis fait agressé par deux individus, une chie- euh une louve et son complice. Des rebelles à ne pas en douter. J’ai perdu la trace de la première mais le second possède des caractéristiques physiques qui attirent l’attention : roux avec les yeux de couleurs différentes. Il se trouve que l’un des professeurs qui se trouvaient à cette conférence regroupait ces caractéristiques. J’en mettrais ma main à couper. »Marquant une nouvelle pause pour laisser le temps à chacun d’enregistrer ces nouvelles informations venant de lui, son regard croisa brièvement celui de la jeune policière à la chevelure blonde. Comment il le savait ? Son insigne sur sa poitrine. Pas de doutes possibles. Chose étrange, cette dernière perdit des couleurs quand tomba la description de l’individu. Ce détail intrigua Natsume, qui le nota dans un coin de sa tête avant de poursuivre.
« Je reste convaincu que les rebelles n’auraient pas pu enlever un si grand nombre de personnes sans se faire attraper, s’ils n’avaient pas été parfaitement au courant du déroulement de la conférence. Avec votre permission, j’aimerai enquêter sur place et retrouver la trace de ce professeur pour l’interroger. Et je sais que Maria ici présente, saura me seconder dans cette mission. » conclut-il alors en jetant un coup d’œil à l’intéressée à la fin de sa tirade.
Parce qu’ils étaient les premiers concernés par les deux complices, le darkness souhaitait ardemment qu’elle prenne part à ses investigations. Plus calme et posée qu’il ne le serait jamais, son amie saurait à coups sûrs l’encadrer en cas de problèmes. Et si ça permettait de rassurer ses détracteurs au passage, le garçon ne cracherait pas sur l’occasion !