Emporté par son élan, motivé par ce besoin de parler, de livrer ce qu’il avait gardé sur la conscience depuis trop d’années, transformées en décennies puis en siècles d’existence, Jilan se rendit bien trop tard du caractère cru des explications qu’il livrait à sa jeune sœur. Cette dernière ne pouvait pas savoir ce qui s’était réellement passé, sinon, elle aurait réagi différemment après s’être effectivement assurée qu’il s’agissait bien de lui. Et les questions qui avaient franchi ses lèvres par la suite n’avaient fait que confirmer cette hypothèse. Allait-elle avoir la force d’encaisser ces révélations ? Le jeune professeur se mordit les lèvres à sang alors que cette pensée surgissait dans son esprit. Il était trop tard pour revenir en arrière, le mal était fait. Depuis plusieurs siècles même. Il aurait dû la ménager… Ce n’étaient pas les retrouvailles qu’il avait espérées ! Devant le silence de son interlocutrice, le Lightness ne put que se maudire davantage de n’avoir pas tenu sa langue. Lui qui veillait à ce que personne dans son entourage n’en sache de trop à son sujet, exceptées Leann et Eleanore, toutes deux au fait de certaines bribes de son parcours personnel plus ou moins importantes, il se trouvait bien bavard tout d’un coup. Cela prouvait au moins une chose : il avait confiance en la personne de Lily, flic ou pas, darkness ou non. D’ailleurs, étaient-ils enregistrés ? Jilan se raidit à cette pensée. Il n’y avait pas songé un seul instant, tant la violence de cette confrontation s’était accaparée son esprit lorsqu’il avait croisé le regard de la petite blonde pour la première fois. Il ne s’était pas encore trahi concernant l’affaire de l’enlèvement, ce pourquoi il avait été convoqué dans ce commissariat d’ailleurs. Mais il venait d’avouer le meurtre de ses parents, ainsi que d’autres personnes… Est-ce que cela suffirait aux forces de l’ordre pour le faire arrêter ? La réponse lui paraissait évidente : il n’avait pas besoin de plus pour le faire. Etait-ce la raison pour laquelle sa sœur ne disait plus rien ? En plus d’être choquée par de pareilles révélations, elle prenait conscience de ce qu’impliquaient des aveux de ce type ? Une nouvelle séparation pour avoir choisi des camps différents ?
« Si seulement nous n’avions jamais été séparés… Rien de tout ceci ne serait en train d’arriver… » se surprit-il à penser.
Le mouvement brusque de son interlocutrice le fit sursauter. Le Lightness la suivit du regard, intrigué par ce qui la motivait ainsi. En la voyant se diriger vers la fenêtre, il comprit ce qu’elle cherchait à faire, ce qui ne l’empêcha pas pour autant de détourner le regard, aveuglé par le soudain reflux de lumière dans la pièce. Passé cet aveuglement momentané, il ne put que la remercier intérieurement de faire revenir un peu de soleil dans la salle où ils se trouvaient. Ils en manquaient cruellement… Enfin, surtout lui après qu’il se soit rappelé de la nature actuelle de la petite tête blonde. Tandis qu’il reportait son attention sur elle, le jeune professeur constata qu’elle lui tournait le dos cette fois. Etait-ce mieux ainsi ? Pour ne pas qu’il voit l’horreur, l’incompréhension et le dégoût sur son visage ainsi que dans ses yeux ? Un triste sourire apparut sur ses propres lèvres à cette idée. Oui… Lily était en droit de le détester pour ce qu’il avait fait. Même si son suicide résultait des choix de leurs géniteurs, sa sœur leur avait peut-être pardonné depuis tout ce temps ? A tel point que, même après que le temps se soit naturellement chargé d’eux si Jilan ne les avait pas assassinés, elle conservait une image de leurs parents différente de celle de son frère ? Et pas conséquent, elle ne comprenait pas son geste, motivé par la haine seule ? Devait-il ajouter précipitamment qu’il avait agi ainsi pour venger la mort de celle qui adorait enfant et adolescent ? Qu’il n’avait pas supporté d’apprendre sa mort alors lui, était parvenu à en revenir ?! Même s’il en ressentait le besoin urgent, les mots restèrent bloqués dans sa gorge. Seules ses lèvres remuèrent, le laissant la bouche ouverte, sans qu’aucun son n’en sorte. Il finit par la refermer en voyant du coin de l’œil son interlocutrice pivoter sur elle-même pour se diriger vers lui. Le Lightness s’attendait à pas mal de réactions de sa part, mais certainement pas celle-ci. Surpris de sentir les bras de sa sœur l’entourer une fois de plus, il n’osa pas lui rendre son étreinte, incertain de ses propres pensées.
« Lily, je… »Le jeune professeur n’alla pas au bout de sa phrase car Lily l’interrompit. Les mots de cette dernière lui serrèrent la gorge mais pas de tristesse et de regrets comme il s’y serait attendu. Non, simplement l’émotion. Celle de se savoir déjà pardonné et accepté pour ce qu’il était. Ce ne fut que lorsque sa sœur s’excusa qu’il passa ses bras autour d’elle pour la serrer contre lui.
« Idiote, tu n’as pas à t’excuser… Ce qui est fait, est fait. Je ne te reproche rien du tout… » murmura-t-il à ses oreilles, faute d’être sûr de sa propre voix.
Le but de toutes ces révélations n’avait jamais été de la faire culpabiliser. Il n’avait pas le droit de lui reprocher ce qu’il était devenu. Ce n’était pas de la faute de la petite tête blonde mais bien de leurs géniteurs, lesquels avaient déjà payé le prix de leur erreur. Et dans un sens, cela leur permettait à présent de vivre éternellement ensemble. Alors qu’il s’apprêtait à lui en faire part, histoire de la rassurer un peu plus, Jilan tendit l’oreille à ce qui suivit. Des erreurs ? Tant de naïveté de la part d’une personne désormais habituée à côtoyer mort et désolation. Qu’importe ce qu’elle était devenue aujourd’hui, au sein des forces de polices, le Lightness refusait de croire que la longue existence de sa sœur avait toujours était aussi paisible. Partager le quotidien d’un démon ne devait pas être de tout repos, tout comme partager son corps avec une bête dans une moindre mesure pour les lycans. C’était encore plus douloureux d’écouter une personne qui croyait en vous malgré tout ce que vous avez commis par le passé. On se sent tellement incapable de recevoir son amour et sa confiance, que s’en était étouffant. Et le jeune professeur en faisait la cruelle expérience à ce moment précis. S’il commençait à regretter ses actes, teintés de sang ? Difficile de savoir… Pour Lily peut-être que… En la sentant s’écarter de lui, le Lightness ne chercha pas spécialement à la retenir. Tout contact physique entre eux était douloureux, pour l’un comme pour l’autre. Même si le soleil l’aidait un peu à présent, Jilan se doutait que ce ne devait pas être le cas pour son interlocutrice. S’il s’attendait à la question suivante ? Pas le moins du monde. Même s’il aurait dû s’en douter qu’elle finirait un jour ou l’autre par tomber entre eux. A croire que le fait d’avoir retrouvé sa sœur ne lui permettait plus de raisonner correctement, avec méthode comme il se plaisait à le faire auparavant. Calculateur, il ne l’était plus du tout face à elle. Il redevenait l’adolescent qu’elle avait connu… Le jeune professeur soutint le regard de la petite tête blonde. A cet instant, il n’eut pas envie de lui cacher quoique ce soit. Peut-être eut-elle le loisir de lire la réponse au fond des iris hétérochromes ? Quoiqu’il en soit, il finit par lui répondre :
« Je suis à l’origine de cet enlèvement Lily. »Contrairement à ce qu’il aurait cru, sa voix n’était pas tremblante ou avec le timbre de celui qui est sincèrement désolé de ce qu’il vient de faire. Elle était plutôt étrangement neutre et calme, comme s’il lui décrivait la météo du jour. Cependant, à l’intérieur de son âme, les choses en étaient autrement. Son esprit tremblait rien qu’à l’idée d’imaginer ce que serait la réaction de son interlocutrice à l’annonce de ces faits. Parce que cela marquerait à jamais le fossé qui les séparait.
« Je suis à la tête de ceux qu’on nomme rebelles. Je veux… Que les humains payent leur stupidité. Qu’ils comprennent que les créatures leur sont supérieures, que cette paix n’a pas lieu d’être. Je veux que cette ville s’étouffe dans son propre chaos. »Ce qu’il lut dans le regard de Lily lui arracha un frisson le long de la nuque. Le voyait-elle toujours comme son
tendre grand frère à présent ? Il faillit rire jaune à cette pensée. Bien sûr que non. Il n’avait plus rien de cet adolescent en apparence indifférent mais qui se préoccupait d’elle plus que quiconque dans la demeure familiale. Jusqu’à quel point avaient-ils changé, chacun de leur côté ? Comment pouvait-il lui dire les choses aussi calmement ? Aussi graves étaient-elles ? Parce qu’il désirait connaître l’avis de sa sœur. Elle était à l’origine de sa haine des humains, peut-être qu’elle serait en mesure de l’apaiser ? C’était naïf de penser de la sorte, il le savait pertinemment. Mais les masques venaient de tomber.
« Fais ton devoir et arrête moi. Si tu veux que la paix règne, alors c’est la seule solution. Sinon, beaucoup de personnes mourront. »