*Je ne pensais pas que les journées pouvaient passer aussi lentement...*
Au beau milieu de sa hâte matinale, il n'avait pas considéré le fait qu'aucune heure précise n'était fixée pour le rendez-vous et s'était donc retrouvé à attendre pendant longtemps..très longtemps..assez longtemps pour s'occuper l'esprit de centaines de façons différentes. Il avait pensé pendant un long moment - encore une fois - à toute son histoire ainsi qu'à son avenir.
Il avait observé le parc tout en comparant son aspect actuel à celui qu'il avait découvert, lors de sa toute première visite dans la ville d'Avventura. La seule chose qu'il y avait à en dire, c'était que la neige avait un pouvoir fantastique sur l'apparence qu'un lieu pouvait avoir. Ici dans le parc, ce fin et froid tapis blanc donnait au paysage des allures de désert arctique : les nombreuses et longues allées qui serpentaient çà et là étaient recouvertes par la poudre, ce qui donnait la nette sensation qu'aucune limite n'existait entre ces dernières et les coins, qui au printemps passé n'étaient que des zones tapissées d'herbe et de fleurs. Mais si l'observation d'un parc parsemé de neige était une activité qui pouvait être passionnante à plus d'un titre, elle n'occupa pas bien longtemps l'élémentaire qui, tremblotant de froid avec son journal, ne savait déjà plus quoi faire pour occuper sa conscience. Il resta donc là à attendre..attendre..attendre..attendre tellement longtemps que les secondes semblaient des minutes, les minutes des heures et les heures des demi-journées bien remplies.
Après un long moment, son estomac cria famine et l'obligea à aller quémander de quoi manger - moyennant une modeste contribution financière bien sûr - dans un endroit assez jovial et décidément populaire qui se trouvait non loin du lieu de rendez-vous. Le regard toujours braqué vers le vieil arbre avait d'ailleurs suscité l'intérêt du cuisinier, qui lui avait alors demandé sans aucun détour si sa valentine lui avait posé un lapin.
"En quelque sorte..il semblerait que ce soit une personne qui aime se faire désirer." avait-il répondu distraitement.
Une fois son repas consommé et sa faim rassasiée, il retourna au même endroit où il se trouvait pendant la matinée, avec ce journal dont il n'avait toujours pas entamé la lecture. Fort heureusement les cinq heures qui suivirent furent ponctuées de rencontres fortuites et enrichissantes : des coureurs et coureuses s'arrêtant pour demander leur chemin, puis décidant finalement de rester sur place pour dialoguer ; des gens d'une génération lointaine qui s'arrêtaient et se posaient sur le banc, discutant de tout ce qui pouvait se passer dans une vie et de toutes ces choses qui devaient être vécues au moins une fois. De façon patiente et avec intérêt, il écouta la vie de ces quelques personnes qui, esseulées, venaient se poser aléatoirement puis engageaient la conversation, mine de rien, naturellement. Le temps continua sa route et l'élémentaire tira un enseignement de ces moments passés à converser avec de simples inconnus : les gens avaient ce besoin profond de parler, ils avaient l'envie cachée de se confesser, de conter leurs bonheurs et leurs malheurs ; le monde en somme, sentait dans un recoin de son âme la nécessité d'avoir une personne à qui parler.
Le soleil décida de se faire discret ; quelques nuages annonciateurs de la nouvelle neige à venir apparurent soudain, faisant fuir les quelques courageux qui s'étaient risqués à des batailles de boules de neige, à la construction de bonhomme eux aussi composé d'amas de flocons ou à un simple et aventureux pique-nique.
Lassé il regarda autour de lui puis nota une jeune femme, qu'il épia discrètement, un court instant, toujours caché sous sa capuche grise. Si au début l'intention était de ne lui manifester qu'un intérêt secondaire, elle changea subitement au moment où la nouvelle arrivée fit les cent pas autour de l'arbre. Interloqué, l'élémentaire se posa quelques questions sur elle. Plus il la regardait, plus une sensation étrange s'agitait au fond de lui : il avait comme une boule dans l'estomac. Dérangé, il reporta son attention sur le journal qu'il commença à lire tout en repensant à la lettre reçue le matin même.
*C'est la seule personne qui s'est approchée de l'arbre aujourd'hui, elle semble si jeune..aurait-elle lien avec l'inquisiteur ?* pensa-t-il sur l'instant. *Non..ça ne semble pas possible, attendons encore un peu.*
Soudain, alors qu'il se perdait dans ses pensées, une main attrapa son journal pour le baisser d'une façon qu'il était aisé de qualifier d'abrupte. Il leva doucement les yeux vers la jeune femme sur laquelle il se posait des questions depuis plusieurs minutes, qui se tenait à présent à quelques centimètres de lui et semblait sur les nerfs, du moins le ton de sa voix le laissait-il penser.
"Une jeune femme ?" répondit-il étonné "Non..enfin..la dernière que j'ai croisée remonte à 16h30 il me semble..mais elle n'est pas restée ici bien longtemps.."
Il la détailla calmement, avec néanmoins au fond de l'âme un sentiment prenant. Elle de son côté, semblait le fixer avec ce qui n'était certainement pas qualifiable comme de la gentillesse. Pendant une fraction de secondes l'élémentaire frissonna et détourna le regard.
"Hmm..vous pourriez arrêter de me fixer comme ça s'il vous-plait?" lança-t-il d'un air gêné. "J'ai l'impression que vous allez me sauter dessus, j'ai fait quelque chose de mal ?"
Il baissa les yeux un instant puis repensa à ces nombreuses personnes qui étaient venues parler aujourd'hui. Peut-être avait-elle aussi besoin de se lâcher un peu ?
"Pourquoi ne pas vous asseoir un peu? La personne que vous attendez arrivera probablement d'un instant à l'autre.."