| par Invité Dim 7 Juil - 0:21
| L'affrontement mutuel du regard qu'avait don de lancer cette jeune femme commençait à m'agacer, et au moment où je m'apprêtais à décrocher de ce jeu stupide, elle me précéda, pour refixer ses yeux sur l'horizon. Je ne savais pas ce que ce dernier détenait de si intéressant, mais de toute évidence, à chaque fois qu'elle était lassée de jouer avec mes nerfs, elle se reconcentrait sur ce dernier. C'était une pratique plutôt exaspérante, et je percevais mieux à présent la dimension provocatrice du caractère de Séréna. Elle régnait en maître sur les lieux, et elle défiait ainsi tous ceux qui s'amusaient à venir dans le coin. Je m'étonnais qu'elle ne soit pas encore tombée sur un Musclor qui s'était désintéressé du jeu et qui avait fini par la cogner pour la pousser à éviter de recommencer. Si je n'avais pas été un non-violent pratiquant, je crois que je lui aurais mis une raclée, lui signifiant que j'en avais ras le bol de son petit manège. Si j'étais d'habitude plutôt patient, cette jeune femme un peu trop sur d'elle était en train de me pousser à bout. Je m'exhortais à la contenance, tâchant de ne rien montrer de mon agacement. Mais de toute évidence, j'avais raté mon coup. Mon regard, ou une étincelle meurtrière dans ce dernier, avait du me trahir. Je m'agitais malgré moi, ou plutôt le chaton gris s'agitait dans mes bras, me poussant à bouger pour éviter qu'il ne tombe et se brise une patte ou le cou dans la bataille. Il paraissait faible, mais pour un animal malade, il était plutôt remuant. Je me concentrais sur son aura, cherchant à y déceler un signe qui indiquerait une trop grande faiblesse, quelque chose qui me montrerait qu'il était trop atteint pour être soigné, mais le résultat de l'analyse se montra étonnant : il était possible de le remettre très rapidement sur pied. Cette nouvelle me dit sourire tandis que je faisais disparaître l'aura unie et gris pâle du félin. Lui caressant machinalement la tête, j'écoutais Séréna, toujours perchée. Une position dominante qui m'exaspérait au plus haut point :
-Vous venez ici car le sentiment de peur vous est grisant ? Voilà une drôle d'habitude... Mais il me semblait bien que vous ne viviez pas ici, plus rien de tient debout aujourd'hui... Et non, ce n'est pas un interrogatoire, juste les questions rudimentaires d'une personne cherchant à faire connaissance avec l'un de ses congénères. Une pratique très rare chez moi. Mais j'apprécie votre compagnie, bien que vous trôniez sur votre piédestal.
Le doute sur le visage de la jeune femme m'irrita. De toute évidence, que je lui parle de ma vie ne semblait pas l'intéresser. Un comportement bien inconvenant. Elle semblait aimer sortir, mais pas croiser ses compères. A moins que je ne l'ai dérangée en pleine séance de photos ou de méditation ? Ca serait bien étonnant, étant donné qu'elle buvait son café, perchée sur son monticule de débris, bien avant mon arrivée. Qu'est-ce qui, dans mon attitude, la dérangeait tant ? Elle me semblait plutôt égocentrique.
-Ce n'est pas un « choix » de vie, mais une contrainte. Mon moyen de protection m'oblige à me tenir éloigné des gens. Sans quoi, je risque de les blesser, et de me faire du mal à moi-même. Mes... Dons, peuvent s'avérer dangereux si j'en perds le contrôle. La foule me distrait et m'affaiblit. Mais dîtes moi, vous ne semblez pas passionnée par la discussion. Je vous dérange ?
Je m'attendais à une réponse directe, vu que ma question était fermée, mais peut-être qu'elle s'en tirerait d'une pirouette, vu qu'elle semblait plus futée qu'elle en avait l'air. Quand elle se fit craquer le dos, elle me tira une grimace. Se genre de choses étaient plutôt douloureuses, en général. Quand le chaton se jucha sur mon bras pour me fixer de ses petits yeux noirs, j'eus l'impression que c'était un assentiment silencieux à mes pensées, comme une réponse, un accord. Je souris faiblement, caressant l'étroit buste poilu de l'animal. Il était plutôt distrayant et comique, ce petit félin. Et je me pris à penser au perroquet qui m'attendait chez moi. J'espérais que le volatile ne se ferait pas voler dans les plumes par ce petit monstre, qui paraissait plutôt joueur. Je n'étais pas sûr que le ara multicolore soit très heureux qu'on vienne troubler son paisible quotidien de solitaire.
-Tu n'as pourtant pas de raison de te montrer méfiante envers moi. Je ne suis pas un agent secret, ni un flic, ni un vampire, ni tout autre danger répertorié. Je ne suis pas un danger tout court. Je suis contre la violence et je préfère le calme, ainsi que me plonger dans mes livres de droit. D'ailleurs, je ne porte pas d'arme... Je ne cherche pas à te faire dire quoi que ce soit. Jusque là, j'ai plus de raisons de me méfier de toi que l'inverse, non ?
Quand la jeune femme s'allongea, je m'assis sur un morceau de muret à moitié effondré derrière moi. Un pied au sol, l'autre posé contre la paroi de vielles briques rouges patinées par le temps, je ne lâchais pas le chaton, qui s'allongea dans mes bras et s'endormit. Il était fatigué, mais j'étais certain qu'il se réveillerait. Il était vaillant, vif et vigoureux. Son aura ne trompait pas sur son état de santé : s'il avait été mourant, elle aurait été d'un blanc terne, presque éteint, et virerait petit à petit au noir, jusqu'à devenir invisible. Bien que le gris pâle soit souvent signe de faiblesse, il ne représentait rien d'irrécupérable.
-Détrompez-vous. Celui-ci s'en sortira. J'en ai la certitude. Il est juste fatigué et affamé, lassé de marcher sans but dans des débris. Une fois à la maison, il ira bien mieux.
Je souris, sans chercher à savoir si j'avais convaincu la demoiselle ou si j'étais juste passé pour un fou. Elle regardait le ciel, j'observais les lents et réguliers mouvements du ventre du chaton. Il était mignon comme ça, avec ses moustaches qui s'agitaient parfois de petits soubresauts. Sans doute rêvait-il. En ce moment, il se trouvait dans un monde bien plus beau que la réalité... |
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