Elle parlait, il écoutait.
Il lui tendait la main, elle l'avait prise.
Au premier abord, ils se complétaient assez bien tous les deux. Ce déplaisant malaise qu'elle avait éprouvé semblait avoir disparu.
Il savait ce qu'il faisait, elle était perdue.
Elle ne pensait qu'à son accoutrement, il lui avait fourni de quoi rester en bonne santé.
En y regardant de plus près, ils ne venaient pas du même monde et ne voyaient pas les choses de la même manière, mais c'était ce qui la permettait de lui faire confiance. Il n'était pas de son monde, ne la jugerait pas à son apparence.
Elle soupira, elle aurait aimé se présenter autrement à lui, elle leva un regard gêné. Il l'observait. Curieuse, impatiente, mais pas naïve. Elle dissimula son sourire. Elle était fière également et ce regard n'importe quelle femme le connaissait, un regard intrigué, intéressé, un regard d'homme qui l'auscultait. Il détourna la tête et laissa poindre son sourire. Elle n'était peut-être pas bien dégourdie, mais elle était contente de voir qu'elle ne lui faisait pas peur. Son côté fée, espiègle et rusé voulait jouer avec l'homme, un instinct primitif qu'elle s'efforça de supprimer de suite. Elle n'était liée à personne, ne l'avait jamais été qu'à sa famille qu'elle n'avait plus et s'était contentée de sa solitude qu'elle considérait saine depuis quelques années déjà.
Son sourire qu'elle avait dissimulé n'avait plus besoin d'être caché, elle fronça légèrement les sourcils même, considérant mille pensées en une secondes. Et si elle s'était liée à quelqu'un serait-elle ici? Si sa famille avait eu le temps de la lier à quelqu'un comme le voulait la tradition sa famille serait-elle toujours ici? Et pourquoi ne se laisserait-elle pas aller comme tant d'hommes et femmes le faisaient?
- Peut-être pas à la moindre éventualité, mais disons simplement que je suis quelqu'un de prudent la plupart du temps.Sa réponse la tira de cette rêverie, de ces pensées, de cette insanité. Elle sourit poliment et hocha la tête, son attention était à nouveau portée vers la conversation.
Polie, elle continua la conversation. C'était, après tout, la seule chose qu'elle savait et pouvait faire. Il la flatta en disant qu'elle l'aurait aidé. Oui, elle aurait sans nul doute essayé quelque petit geste qui n'aurait sans nul doute servi à pas grand chose, mais ne dit-on pas que c'est l'intention qui compte?
Une bourrasque le fit tourner la tête vers l'entrée de la grotte, par réflexe, elle suivit son regard et elle prit de plein fouet une rafale. Par réflexe elle porta ses mains devant ses yeux. Elle serait totalement décoiffée si le vent soufflait aussi fort!
Un cri retentit derrière elle. Elle oublia ses cheveux et alors tout s'enchaîna bien vite. Elle n'eut pas le temps de comprendre ce qui se passait, son cerveau lui envoyait des images, des impressions.
Le vent. Le feu. La terre.
Les trois éléments s'étaient tous déchaînés en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire. Elle grimaça, son coude gauche lui faisait un peu mal et il ne se levait pas. Elle leva son visage vers lui, elle n'arrivait pas encore à exprimer de la gratitude, car elle venait d'avoir bien peur, elle ouvrit la bouche, mais aucune parole ne sortit. Il regardait derrière elle, puis il sembla peser une tonne. Son souffle fut coupé quelques instants, puis elle comprit que l'homme qui venait de la sauver une fois de plus venait de s'évanouir.
Elle respira lentement, essayant de se remémorer ce qui venait de se passer dans l'ordre. En même temps elle chercha autour d'elle une aide quelconque. La grotte les avait enfermés là, elle ne trouverait donc aucune aide dehors. Elle s'appuya sur ses mains et parvint à se redresser assez pour attraper le corps inerte de Calions. Sa tête était en sang, le visage saignait facilement, mais là, il y avait beaucoup de sang et elle sentait déjà son cœur battre bien plus vite et bien plus fort que d'ordinaire.
Elle lança un coup d'œil, la chouette n'était pas loin. La tempête leur donnait plus d'un point en commun à elle et cette créature. Laëllyra arriva à attraper le sac de Calions, espérant vivement qu'il ne lui en voudrait pas qu'elle se permette de fouiller ainsi dedans. Elle y trouva de l'eau et des herbes. Elle n'avait strictement aucune idée à quoi ces herbes pouvaient servir, certaines se mangeaient, d'autres soignaient, d'autres empoisonnaient, d'autres n'avaient parfois aucune vertu particulière.
Elle commençait à sentir des fourmis dans ses bras. Le corps de Calions étaient encore allongé contre le sien. Elle saisit doucement, mais fermement ses épaules et fit basculer aussi doucement qu'elle le put le corps de manière à ce qu'il ne lui fasse pas face, mais dos. C'était vraiment plus facile à dire qu'à faire, mais elle avait le temps. Lui vint alors à l'esprit une idée effrayante: était-il toujours en vie?! Pourquoi n'y avait-elle pas encore songé, elle n'aurait pu l'expliquer. Les battements de son cœur s'arrêtèrent et elle se débrouilla pour l'allonger le plus vite possible. Elle aurait aimé lui donner un oreiller de fortune, mais ses vêtements étaient trempés, sa veste était brûlée et elle ne se sentait pas la force de quitter ce pull qu'il lui avait prêté. Alors elle posa sa tête sur ses cuisses, essayant d'ignorer le filet de sang qui allait sous peu venir couler sur elle. Le pantalon n'était certes pas à elle, mais rien que l'idée la fit frissonner.
* Ressaisis-toi crétine, tu ne sais toujours pas comment il va et tu penses à un peu de sang! *Elle se pencha au-dessus de son visage, sa main vint palper son torse. Un souffle faible, des battements de cœur lointains. C'était tout ce qu'il lui fallait.
Elle regarda le corps inerte, posé, ne sachant par où commencer. La tête était sans nul doute le premier endroit à devoir soigner. Elle prit une des deux bouteilles qu'elle avait trouvé dans le sac et ne trouvant rien pour éponger la blessure craqua. Des larmes commencèrent à couler silencieusement le long de ses joues, elle ne s'était jamais sentie aussi impotente. Elle essuya avec frustration une larme et fit la chose qu'elle faisait toujours quand elle était triste, perdue, seule et qu'elle ne savait comment trouver le réconfort: elle chantait. Un film, une vieille comédie musicale La Mélodie du Bonheur, qu'elle avait vu l'avait grandement marquée. Une chanson notamment lui avait plu, courte, éphémère, touchante.
Edelweiss.
Elle épongea le sang lentement, avant de vouloir soigner la plaie, elle voulait arriver à faire la différence entre sang, cheveux, etc. Sa main droite maintenait la tête en place, sa main gauche esquissait des mouvements lents, méticuleux bien que sûrement maladroits. Elle s'arrêta quelques instants, regardant le visage sans expression. Sans y penser, elle parcourut du bout de ses doigts les traits de la joue et de la mâchoire, il n'était pas désagréable à regarder. Ses doigts remontèrent, et montèrent jusqu'à ses cheveux. On aurait juste dit qu'il était endormi comme cela. Mais il ne l'était pas.
Un battement d'aile la ramena à la réalité, elle s'arrêta en plein milieu de la chanson qu'elle chantait et ses doigts se détachèrent du visage, qu'elle inspectait. Le sang coulait toujours, mais bien plus lentement et au moins il n'en avait plus partout. Son regard critique glissa le long des bras, elle se souvenait du feu qui semblait avoir jailli de nul part. Nettoyer une plaie elle pouvait encore le faire, mais essayer de soigner une brûlure. Elle serra les dents.
- Qui ne tente rien n'a rien...Elle leva le regard vers la chouette. Cette dernière avait dû voir Calions faire la bonne chose pleins de fois, et maintenant elle verrait une femme ignorante tenter quelque chose en vain. Laëllyra porta les herbes à sa bouche, les plantes qui avaient des vertus curatives étaient souvent broyées et mélangées à un peu d'eau, ou étaient bues en infusion, ou on en faisait une pâte que l'on étalait. Pour soulager ses brûlures elle devait surtout empêcher le contact de l'air et de sa peau. Dans son état il ne pouvait boire de tisane... pour le moment. Elle aurait dû mettre de l'eau à chauffer, mais chaque chose en son temps, elle le ferait une fois qu'elle aurait fait le strict minimum. Elle ne disposait pas d'instruments ou de connaissance suffisante pour faire une mixture parfaite, alors elle avisa avec les moyens du bord et porta quelques les herbes à sa bouche. Elle plissa des yeux, le goût amer était vraiment très désagréable. Elle se força tout de même à mastiquer ces plantes, médicinales ou pas la peau brûlée ne serait plus en contact avec l'air et cela aiderait. Elle recracha la bouillie infâme dans le creux de sa main et frissonna, puis elle prit soin de l'étaler sur les bras du jeune homme. Ses mains faisaient des allers retours lents, à chaque fois qu'elle remontait le long de son bras, elle se disait qu'elle faisait vraiment n'importe quoi.
Elle leva la tête, la chouette n'était plus là, elle fut prise de chair de poule, elle voulut se frotter les bras, mais elle se rappela de ce qu'elle venait d'étaler. Elle trembla légèrement.
* Mais qu'est-ce que je fais! Pourquoi est-ce que je suis ici, coincée ici, à faire … *
Elle se frotta les tempes du bout des doigts, prête à éclater de fureur ou en pleurs. Le feu était à peu près à deux mètres d'elle, elle se demanda comment avec tout ça il pouvait encore brûler, même s'il était bien moins beau que tout à l'heure. Le feu était trop près de ce plafond devenu un mur et elle n'osait s'en approcher, mais elle avait besoin de chaleur et faire une tisane serait sans nul doute une bonne idée. Et lui n'avait plus de veste, elle se mordit l'intérieur de la joue, elle ne savait vraiment plus quoi faire, elle voulait juste oublier, se réveiller de ce mauvais rêve.
Elle remarqua que la plaie saignait toujours, elle regarda les quelques herbes qui restaient, en prit le moins possible et le mit en bouche, espérant que c'était la dernière fois de sa vie qu'elle aurait à le faire. Elle appliqua lentement la pâte infecte sur la plaie tout en se demandant comment elle réagirait à son réveil en voyant ça sur elle.