| par Invité Mar 6 Mai - 15:04
| - Oui… oui je l’ai oublié. Excuse-moi, dit-elle avec de grands yeux et un ton dépité.
Depuis l’instant où elle avait constaté la démarche agacée de Néro, et les goulettes de pluie qui chaque fois frôlaient ses tempes mais qui, grâce à son chapeau à larges bords, étaient évacués sur ses épaules enveloppées dans un paletot imperméable, la vampire s’était aperçue de la raison qui justifiait le retard de son collègue. Elle n’avait pu faire autrement que de lui adresser un regard désolé, parce que, pluie ou pas, le rendez-vous avait été convenu d’avance et que, malheureusement, elle n’avait pas songé à ce genre de détail, idiote qu’elle était, bien que cela aurait pu avoir des conséquences funestes sur son compère vampire. Cependant, et en toute connaissance du caractère de Néro, elle doutait qu’il lui en veuille longtemps pour cette contrariété dont elle était responsable. D’ailleurs sa mine penaude avait vite fait place à un air plus circonspect, lorsqu’elle s’était aperçue d’une petite broderie sur l’imperméable.
- Tiens, ce ne serait pas l’imperméable de Julie, la secrétaire du dernier étage? Elle a été bien gentille de te le prêter. Elle le sait au moins?
La vampire affichait un air goguenard, se doutant que l’homme devant elle avait dû improviser pour trouver un moyen de quitter le bâtiment du Cercle sans risque. Et pourtant, sans être Londres, il arrivait qu’il pleuve à l’Avventura. Comment se faisait-il alors qu’un homme de son expérience ne trimballe pas toujours avec lui un parapluie ou un imperméable en cas de risque, de la même façon qu’Eleonor trimballait toujours une poche de sang synthétique au cas où la faim la tenaillerait au point de corrompre son jugement et ses actions? C’était là une autre des nombreuses questions que soulevait l’aquaphobie de Néro, et à laquelle il ne semblait pas y avoir de réponse claire. Les deux vampires amorcèrent rapidement leur ascension de la grande rue, tous deux protégés du fidèle parapluie, sous le torrent de goulettes qui semblait se faire plus violent, et tandis qu’ils se rapprochaient de l’endroit, Eleonor constatait que l’immeuble à logements où ils étaient attendus contenait des habitations pour la classe aisée, et que c’était en réalité une immense bâtisse qui trônait au centre d’un quartier bien situé. Chaque logement était doté de baies vitrés, mais la plupart étaient recouvertes de rideaux fermés, à cette heure tardive où le jour mourrait lentement. Les deux collègues avaient marchés en silence les premières secondes, et Eleonor dû prendre sur elle-même pour faire une annonce importante au vieux vampire.
- Je devais t’avertir.. avant que nous n’arrivions que… hé bien…(elle se raclait la gorge) la suspecte à qui nous allons parler est en fait, officiellement et aux yeux de la loi, la propriétaire de sites pornographiques, et que c’est supposément ainsi qu’elle gagne sa vie.
Cela n’avait en fait pas tant d’importance puisqu’ils n’allaient pas l’interroger à ce sujet. Cependant, il était préférable que Néro assimile le plus d’informations possible concernant leur suspecte, ceci afin d’être bien préparé pour la séance qui allait suivre. Les deux vampires demandèrent un nom à l’accueil, et furent reçus par un homme d’imposante stature, chauve, au teint bigarré, large d’épaule, doté d’une mâchoire carrée et de mains calleuses et épaisses qui sont les conséquences d’une vie de travail manuel et difficile. Il lançait des regards durs aux nouveaux visiteurs, comme s’il connaissait le but de leur visite et le désapprouvait, mais conduisit tout de même les deux représentants du Cercle à l’intérieur d’un ascenseur, et appuya sur le bouton du dernier étage. Durant tout ce temps il toisait les vampires du regard, peut-être sans se douter de la race à laquelle ils appartenaient, car alors, sans doute, il se serait fait moins intimidant dans ses manières. Néanmoins tous trois arrivèrent à bon port. Et c’est alors qu’ils furent accueilli par la dénommé Séréna Mandor. Il s’agissait d’une femme jolie, grande comme un mannequin, arborant une chevelure aussi noire que ses vêtements, et donc le corps svelte et la peau diaphane rappelait la beauté vampirique. Elle était ancré dans un tableau aussi noir et blanc qu'elle-même. En effet, l'appartement, quoique fort joli, n'en était pas moins morne et statique de par son manque de couleur. La seule chose arrivant à égailler la scène terne qui se dressait devant eux, c’était cette paire d’yeux bleu-vert inquisiteurs, qui scrutaient nos nouveaux visiteurs, tous deux debout dans l’entrée. Quant à Eleonor, il lui fallu bien peu de temps avant que son regard ne passe de la jeune femme aux quatre écrans d’ordinateur. D’abord surprise de voir que, même si des invités se présentaient à elle, l’humaine laissait les écrans allumés, la vampire se trouva ensuite soulagée d’avoir averti Néro à ce sujet. L’homme aux larges épaules, qui avait conduit les deux vampires jusqu’ici, avait à ce moment lancé un regard complice à la femme en noir, comme s’il était habitué à ce genre de scène, puis avait regagné l’ascenseur, laissant là nos trois protagonistes. Eleonor comprenait vite que leur suspecte tentait de les décontenancer. Ne se laissait pas distraire davantage par les clips qui s’affichaient cependant, la vampire s’empressa de briser la glace.
- Bonsoir mademoiselle. Je suis Abigael Beauvois. Nous sommes ici au sujet des pièces d’identité dont nous avons traité au téléphone.
Évidemment, elle donnait un faux nom. Mais cela n’arrangeait pas tout. Le plus grand problème d’Eleonor, dont elle ne se rendait malheureusement pas compte, car elle possédait en fait des talents d’actrice limités, c’était ses manières affables, sa façon polie de parler, ses habits professionnels, sa posture très droite, et tout ce qui la constituait en fait. Parce que chaque parcelle de son être, chaque regard, chaque mot qu’elle disait, bref, tout cela criait qu’elle était une femme de bonne moeurs, honnête et droite, et, bien qu’elle puisse avoir besoin de fausses pièces d’identité sans tremper dans la criminalité sévère pour autant, cela pouvait être suspect pour bien des personnes qui entretenaient des relations avec les Rebelles, et savaient comment se comportait d’ordinaire cette classe de gens. C’était pour la plupart des bêtes sauvages et violentes qui n’avaient aucune maîtrise de leur fureur, et massacraient indistinctement chaque être qui pouvait entraver leur route. Il restait néanmoins le cas des bandits à cravate, qui semblaient de prime abord être des gens sympathiques et ordinaires, et qui tiraient leurs bénéfices sans verser la moindre goutte de sang, rien qu’en signant de fausses déclarations et en falsifiant des contrats. Si l’on devait apposer l’un où l’autre de ces profiles à Eleonor, le second était certainement le mieux choisit. Une femme d’affaire qui avait commis des fraudes impardonnables risquant d’être bientôt découvertes, et qui cherchait à se faire oublier pour quelques temps… |
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