Après avoir jeté un dernier coup d'œil interrogateur au cheval, comme pour deviner ses pensées - ce qu'il ne parvint évidemment pas à faire - il baissa le tête à nouveau pour examiner une seconde fois la carte. Tous ces endroits, toutes ces notes, toutes ces couleurs qui se liaient, s'entremêlaient. À quoi pouvaient bien ressembler ces lieux? comment étaient les gens qui y vivaient? là-bas aussi se trouvaient des élémentaires, des vampires, des lycans, des Darkness et autres espèces encore bien mystérieuses? nul besoin de mentir, comme un enfant avide de se projeter aux quatre coins du monde, il était en quelque sorte envieux de la jeune femme qui se tenait à ses côtés. Elle devait tant avoir vu lors de ses voyages, elle devait avoir découvert tant de nouvelles choses.Pourrait-il lui aussi, un jour peut-être, faire ces choses là? pourrait-il s'acquitter de son devoir et vivre libre? mais encore plus important: avait-il réellement raison de penser de cette façon? n'était-ce pas égoïste de délaisser par la pensée les tâches assignées avant sa naissance pour pouvoir voler de ses propres ailes? loin des obligations?
Alors qu'il pensait à ces choses là, à ces problèmes sur lesquels il s'était penché depuis sa sortie de l'hôpital jusqu'à sa balade au parc - là où il avait finalement pu mettre de côté toutes ses interrogations en profitant simplement de la douceur du soleil et de la caresse de la bise sur sa peau - alors donc qu'il y pensait, il ne vit pas le cheval qui, derrière lui, allait s'amuser d'une bien curieuse façon, le tout aux dépends de des deux élémentaires. La jeune femme était sur le point de lui répondre quand l'animal, puéril plus que simplement farceur, poussa du museau l'élémentaire en avant.
La force qu'il avait mise dans le geste était faible mais la surprise suffit à faire basculer l'élémentaire en avant. Il écarquillait en même temps les yeux, ressentant pour la première fois ce qu'était vraiment la sensation de se faire attirer au sol par la gravité du monde. En fin de compte, la sensation de tomber en soi-même n'était pas si désagréable pensait-il, on aurait pu tomber pendant des heures tellement la sensation de s'abandonner au vide était agréable - qui sait d'ailleurs, peut-être un jour il expérimenterait aussi la beauté des plongeons dans la mer, là où la sensation de chute était couronnée par le plaisir intense provoqué par l'entrée du corps dans l'eau fraîche et salée lors d'une chaude journée d'été - il se ravisa néanmoins sur son jugement quelques demi-secondes plus tard quand il s'écrasa pitoyablement sur le sol, la tête dans la terre et le corps dans une position dont les enfants riaient déjà à gorges déployées: les fesses en l'air et les jambes repliées.
Il se releva tant bien que mal, époussetant son visage sans trop faire attention aux moqueries des petites pestes qui quelques instants plus tôt étaient venues déranger le cheval pour monter sur lui. Calmement, il détourna le regard en direction de la bête qui elle aussi, si elle en avait eu la capacité, aurait bien rigoler à la face de l'élémentaire. Il se retourna ensuite vers la propriétaire du cheval qui maugréait des remarques à son animal - Lir était donc son nom...les humains donnaient des noms à leurs animaux? ils ne les qualifiaient pas simplement par ce qu'ils étaient? - tout en se relevant péniblement. Le jeune homme se fit la remarque, pendant que la jeune femme expliquait la rareté de tels comportements, qu'en fin de compte si les humains se donnaient des noms entre eux ils pouvaient bien en donner à tout et n'importe quoi. Après tout, comme il l'avait pensé lorsque on lui avait demander son identité le jour d'avant, une personne sans nom ne peut-être appelée, elle n'existe qu'à travers ce nom. Ne pas avoir d'identité revenait donc à ne pas exister..en quelque sorte.
"Ne vous inquiétez pas, ce n'est rien. Certaines choses sont imprévisibles parfois. Et puis personne n'est blessé donc nous pouvons rester tranquilles, ce n'était qu'un malheureux incident."
Il était sur le point de reprendre la conversation, le plus naturellement du monde, quand l'attention de la jeune femme se dirigea vers une chose qui s'était brisée. Il la regarda se diriger vers l'objet en question quand, interdit, il remarqua de quoi il s'agissait. C'était une plante, une fleur. Pendant qu'elle rassemblait les morceaux provoqués par l'incident, Vegeo se perdit une fois de plus dans des images ancrées au plus profond de lui, des sensations ressenties par sa partie naturelle. Voir cette fleur brisée lui rappelait le chagrin intense, causé probablement par ce qu'il était à moitié, qu'il avait éprouvé en voyant les cadavres de plantes qui s'entassaient dans la forêt morte. L'air était irrespirable, l'aspect macabre et sinistre. La jeune femme lui parlait et lui répondait sans trop s'écouter lui-même.
"Ce n'est rien..ce n'est pas grave..avec plaisir oui.."
Son estomac ne criait pas réellement famine mais manger un petit peu ne le dérangeait pas. En même temps qu'il répondait, les yeux verts de l'élémentaire passaient de la jeune femme à la plante. Il ne parvenait pas à se détacher de cette image de fleur brisée, la vision lui provoquait un effet de malaise, sans trop savoir pourquoi. N'y tenant plus, il s'excusa.
"Excusez-moi..juste..laissez moi deux secondes je dois voir."
Il se dirigea vers la fleur sans trop savoir quoi faire puis il se mit à genoux pour plonger ensuite ses mains dans la terre pour saisir la racine. Il la regardait d'un air triste. Dans sa tête se mêlaient le chagrin de la jeune femme plus tôt et les souvenirs nombreux des devoirs qui lui incombaient. Il fixait son attention sur elle uniquement. Pourquoi..quelle était cette sensation étrange? plus loin certaines personnes regardaient étrangement la scène, voir ce jeune homme bien portant, le regard empreint de tristesse, penché sur une fleur, dégageait une incohérence et un sentiment déroutant. Lui ne voyait plus qu'elle, comme enchaîné dans une transe provoquée par une partie profonde de son être, il la regardait, les yeux à présent voilés, lui donnant l'air d'une simple poupée sans expression. Ses pouvoirs, une nouvelle fois, prenaient le contrôle de ce qu'il était. Il ne maîtrisait encore rien, c'est sa Mère qui le maîtrisait. Dans son corps, lentement, une énergie se fit route, parcourant chaque parcelle de son corps, se dirigeant vers l'extérieur, se dirigeant vers la plante. Alors que ses iris prenaient une teinte plus verte que jamais, la fleur se recomposa, sans explications, sous les yeux ébahis des enfants.
"Maman ! maman ! le monsieur il fait un tour de magie !"
C'était ce que les humains voyaient dans la scène qui se déroulait à présent: un simple tour de passe-passe. Cela expliquait pour eux l'étrangeté du jeune homme, c'était probablement un magicien excentrique. Étrangement, la vie qui coulait maintenant dans les cellules de la plante provoqua une accélération de son évolution, les graines poussaient, tombaient à terre et fleurissaient en seulement quelques instants. Après une vingtaine de secondes, l'élémentaire des plantes cligna des yeux, revenant à la conscience. Il tenait désormais dans sa main une plante en bon état, et sous ses yeux dans la terre de l'ancien pot se trouvaient d'autres fleurs, similaires à la sienne. Surpris, il lâcha la plante et tomba sur les fesses, fixant la dizaine de fleurs qui se dressait devant lui.
"J..je.."