| par Invité Lun 5 Oct - 22:00
| Décidément, ce type était d’une étrangeté sans nom… Il me renvoyait, lorsque je lui parlais, l’impression gênante de parler à une machine et non à un humanoïde d’une race inconnue. Il semblait analyser chaque détail, chaque inflexion, chaque mot que je prononçais avant même de pouvoir en comprendre le sens, l’intégrer pour enfin y répondre. Ainsi, il resta immobile, complètement figé, face à moi, ce qui me mit très mal à l’aise, tout comme mon étalon, qui commençait à piaffer nerveusement, se cabrant à demi et respirant fort, ses flancs se gonflant brutalement entre mes mollets. J’essayais de le rassurer en lui murmurant des mots apaisants à l’oreille, lui flattant l’encolure avec douceur. Ca ne fonctionna qu’à moitié, mais au moins, il se calmait un peu. De toute évidence, ce curieux individu gênant autant la bête qu’il me mettait sur des charbons ardents. Lorsqu’il reprit la parole, sa voix étant vide, comme caverneuse, sans intonations, monocorde, à tel point qu’elle en devenait purement sinistre. Dans ces bois sombres et menaçant, elle n’avait rien pour rassurer, même un vampire expérimenté comme moi. Je sentais bien le danger quand il rôdait, et cet étrange jeune homme semblait le canaliser autant qu’il le produisait, dans un concentré plutôt explosif…
-Sans compter le sixième sens dont ils disposent, comme tous les animaux, qui leur permet de détecter facilement et de loin tous les phénomènes paranormaux, surnaturels et météorologiques mieux que n’importe qui. C’est très utile et parfaitement rassurant d’avoir un tel radar comme compagnie. Surtout dans un tel lieu.
Je suivais le jeune homme, qui avait commencé à avancer avant même que je lui ai répondu. Le cheval était toujours angoissé et je comprenais parfaitement son état. Il semblait me hurler de me méfier de cet individu aux comportements si atypiques et à l’attitude si inexpressive que même un cadavre aurait été plus démonstratif. J’en venais même à me demander s’il y avait en lui quelque chose qu’il aurait pu exprimer. Après tout, ressentait-il même quelque chose ? Il semblait totalement inerte, déconnecté du monde, de ce qui l’entourait et des émotions qu’il était censé provoquer. Mais rien, chez lui, ne laissait entrevoir cette sensibilité des êtres vivants, des êtres humains. La Mort semblait régner sur cet être, comme si le vide sidéral c’était immiscé en lui et en avait pris le contrôle. Il semblait doué de parole et c’était tout…
-Tout organisme ou ensemble d’organisme est naturellement complexe, la simplicité ne permettant que rarement la survie d’un individu. La nature est cruelle est sans pitié : sans un solide arsenal sous le pied, toute chose est condamnée à disparaître avant que sa fin ne survienne de manière logique et cohérente. Sans ses armes, sans son instinct, sans ses techniques, un prédateur devient une proie et il s’éteint, victime d’un autre prédateur, lui-même en pleine possession de ses moyens. D’où la nécessité de tuer avant d’être tué. C’est ainsi que ça fonctionne et ce depuis des millénaires.
Je savais bien qu’il faisait références aux grands combats qui avaient eu lieu dans la région, mais c’était bien avant mon arrivée en France, si bien que je n’y avais pas participé. Cependant, j’en avais entendu parler : les affrontements avaient détruit une partie de la forêt, si bien qu’elle était devenue parfaitement infertile et que plus rien n’y poussait plus, comme un immense cimetière, témoin de la violence qui s’y était déchaînée et du sang qui y avait coulé. Cet endroit restait d’ailleurs imprégné d’une gravité et d’une lourdeur qui écrasait tout individu y posant un pied.
-Cet endroit n’est pas vraiment la source idéale pour une conversation guillerette et pleine de joie, ne croyez-vous pas ? D’ailleurs, chaque personne s’exprime de manière différente, c’est bien normal. Disons que je traîne dans cette ville depuis un certain temps maintenant. Je viens souvent ici, ma demeure n’en est pas très éloignée. Depuis longtemps, la nature est un refuge pour moi. Je suis tout de même curieuse de savoir d’où vient cette façon si particulière de communiquer ?
Je restais très prudente sur les informations que je donnais à propos de moi, mais j’espérais bien qu’il ne ferait pas preuve d’autant de méfiance et qu’il me permettrait d’y voir plus clair sur lui. Si les réponses qu’il me donnait me paraissaient suffisantes et convaincantes, je ferais sûrement preuve de plus d’ouverture, mais pour le moment, me protéger valait mieux que tout le reste.
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