Lorsqu’elle avait ouvert les yeux pour la première fois, la petite élémentaire n’avait pas reconnu immédiatement son environnement. Ce n’était plus le décor familier de la Cage qui l’entourait mais quatre murs blancs et froids, à vous donner les chocottes. Heureusement, une jeune femme souriante l’avait rapidement prise en charge, lui expliquant gentiment comment elle était arrivée ici. C’est ainsi que Roxa apprit de la bouche de cette inconnue la conclusion du dérapage survenu à la Cage quelques semaines plus tôt. Chose étrange, elle n’en avait plus le moindre souvenir, du moins, jusqu’à un certain point. La petite élémentaire aurait bien été incapable d’expliquer ce qui s’était passé ce soir-là, aussi elle fut particulièrement reconnaissante auprès de Grégoire qui, encore une fois d’après les dires de l’infirmière, s’était chargé de répondre aux questions des policiers. Ce dernier était même allé jusqu’à passer à l’hôpital pour lui déposer des fleurs à son chevet – un acte dont Roxa ignorait la signification, arracher des fleurs à leur environnement naturel était une chose bien étrange à ses yeux – et la jeune fille ne fut pas longue à découvrir la carte qui accompagnait le bouquet.
« Ne t’inquiètes pas pour les frais d’hôpital, j’ai tout réglé et tu ne me dois rien. L’activité est à la baisse ces temps-ci alors fais-moi plaisir et prends toi quelques jours de congé d’accord ? Repose toi et prends soin de toi surtout ! »
Grégoire.
Rien d’étonnant à cela compte tenu des images de l’incident que l’on diffusait en boucle. Quelques petits malins avaient jugé bon de filmer la scène à l’aide de leurs téléphones portables et depuis, celles-ci avaient été reprises par les médias. La Cage n’avait pas pour réputation d’être dangereuse mais depuis cet événement, toutes les chaînes s’accordaient à dire qu’il valait mieux passer son chemin que d’y mettre les pieds.
« Sinon, ce sera à vos risques et périls chers téléspectateurs ! » s’exclamait une journaliste avec un faux sourire qui se voulait complice envers son public.
Déboussolée, Roxa quitta l’hôpital le jour même. Le médecin en charge de cette nouvelle patiente n’ayant rien décelé de grave, elle put rentrer chez elle. Jamais la petite élémentaire ne mit aussi peu de temps à rejoindre son studio. Sans être paranoïaque pour autant, elle avait l’impression d’être observée en biais par les passants. Il faut dire que sa couleur de cheveux – naturelle au passage – n’aidait pas à passer inaperçue. Sans doute était-elle passée aux informations en ignorant tout de la chose ? La jeune fille n’était pas une star montante mais sa réputation de DJ suffisait pour que certains associent le bleu électrique de ses cheveux au nom de la boîte de nuit. Elle referma précipitamment la porte du studio derrière et resta quelques minutes, haletante, le dos collé contre la porte en bois. Même ainsi, elle ne tarda pas à glisser le long de la surface rigide pour se laisser lourdement tomber par terre. Pourquoi ne pouvait-elle pas se souvenir des événements de cette nuit ? A cause de la boisson ? Et pourquoi Grégoire s’efforçait de la tenir à distance de l’établissement ? Tout était confus dans sa tête, elle se détestait. Roxa rassembla le peu de volonté qui lui restait pour se relever et se traîner en direction de son lit. Elle s’y laissa tomber et dut encore user de volonté pour se glisser sous la couette, s’enroulant dans celle-ci, tel un nems vivant. Cela constitua son refuge pendant les jours qui suivirent. La petite élémentaire ne voyait aucunement l’intérêt de sortir, ni même de manger quelque chose. De toute façon, elle n’avait pas faim. Ses journées se résumaient à dormir ou à comater, essayant d’oublier ce qui s’était passé. En vain. Parfois, elle cauchemardait, revoyant ce visage tordu en rêve, ce qui finissait la plupart du temps par la faire se réveiller en sursaut, le souffle court et en sueur. Un matin où elle ne dormait que d’un œil, un bruit inhabituel la força à sortir de sa torpeur. Quelqu’un frappait à sa porte. Un journaliste ? Son premier réflexe fut de remonter la couverture sur elle, jusqu’à recouvrir une bonne partie de son visage. Non, elle ne le ferait pas le plaisir de la voir dans cet état ! Les coups reprirent. Et si c’était Grégoire ? La jeune fille se mordit la lèvre et consentit enfin à quitter le lit. Prudent, elle ne fit qu’entrouvrir la porte, tenant à s’assurer de l’identité de la personne avant toute chose :
« … Oui ? »Déception. Ce n’était pas le barman de la Cage mais un autre homme dont le visage ne lui était pas familier. La petite élémentaire allait refermer la porte, à présent que l’hypothèse du journaliste en quête d’anecdotes croustillantes se confirmait mais les propos de l’inconnu la figèrent net.
« Rémio ? »Effectivement, ce nom ne lui était pas totalement inconnu, contrairement au visage de son interlocuteur. Et que ce dernier mentionne Tomhas acheva de convaincre la jeune fille qui consentit à ouvrir davantage la porte.
Tomhas… Ce qu’elle aurait donné à cet instant pour l’avoir en face d’elle… Il était un peu bizarre certes mais au moins, l’inventeur l’aurait fait rire !
« Oui il m’a parlé de vous… Enfin, il m’a seulement dit que vous étiez un élémentaire de foudre… Et comment vous avez eu mon adresse ? »Parfois, son cerveau faisait preuve d’intelligence, même si c’était un peu tard pour se poser la question après avoir ouvert la porte à un parfait inconnu ! Roxa se dit qu’elle devait renvoyer une image bien pitoyable à cet instant et le fait que cet homme soit l’un de ses semblables… Ses lèvres se serrèrent, tout comme sa gorge et elle finit par éclater en sanglots. Trop tard pour s’arrêter. Tant pis si elle faisait fuir ce Rémio à craquer de la sorte, sans prévenir alors qu’ils venaient tout juste de se rencontrer. C’était trop pour elle. Alors pour le moment, elle viderait son trop plein d’émotions en chialant comme la gamine qu’elle était restée malgré sa relative majorité.