| par Invité Lun 1 Fév - 12:25
| Par le biais des séries diffusées en boucle à la télévision, le lit avait acquis une forte connotation sexuelle. Il arrivait parfois que les amants s’unissaient ailleurs, soit au travail ou bien sur un canapé mais dans l’esprit de la petite darkness, le lit était tout désigné pour remplir la condition d’être aimé et aimant. Si bien que grande fut sa frustration de constater que son hôte n’avait pas la moindre intention de la toucher au cours des prochaines heures, si tenté qu’on pouvait parler de frustration chez elle. Il était tard, sans aucun doute que le juge voulait dormir, non s’envoyer en l’air, aussi Alice prit son mal en patience. Un autre sujet assaillait déjà son esprit de toute manière : les draps. Leur contact sur sa peau était des plus agréables et elle dut résister à l’envie de s’enrouler dedans, au risque de priver son congénère de cette caresse de soie. Le lendemain, la petite darkness se réveilla dans un grand lit vide et prit le temps de lâcher un long bâillement, assise au milieu des draps encore tièdes. En temps normal, elle se serait promenée entièrement nue dans sa nouvelle demeure provisoire, histoire de trouver quoi manger dans la cuisine de sa victime. Si elle changea quelque chose à ses habitudes ? Pas le moins du monde. Aussi Damien eut le plaisir – ou le déplaisir ? – de la voir apparaître, nue, dans l’encadrement de la porte de la chambre. Ce ne fut que sous le couvert de réflexions de son congénère, qu’Alice consentit à se rhabiller avant de le rejoindre dans la cuisine. Le tout résonnant comme une règle de plus à ses oreilles.
La matinée débutait à peine et déjà, les rues se remplissaient. Avec l’approche des fêtes, les premières décorations avaient été mises en place ci-et-là. En plein jour, on ne pouvait s’émerveiller devant les douces lueurs multicolores qu’elles propageaient sur les passants. Néanmoins, leur retour était synonyme de bonne humeur et elles attiraient les curieux désireux de prendre de l’avance sur leur liste de cadeaux. La jeune fille promena son regard éteint sur les nombreuses vitrines qui défilaient de part et d’autre de sa personne. Avec sa menue silhouette, on pouvait aisément la confondre avec une toute jeune adolescente. Si bien que de nombreux passants s’étonnèrent de la trouver aussi inexpressives devant les vitrines de jouets. Heureusement que Damien n’était pas de ceux-là. Il avançait d’un pas rapide, le regard braqué devant lui. Tout chez lui reflétait la détermination. Autant lorsqu’il conduisait que lorsqu’il marchait d’ailleurs. Il se rendait dans un lieu précis, pour une raison précise. Cela ne pouvait en être autrement et Alice le trouva encore plus séduisant avec ce profil sérieux. Elle ne se serait jamais lassée de le contempler, jusqu’à ce que le principal intéressé s’en agace. Mais toute bonne chose avait une fin et ils ne tardèrent pas à pénétrer dans l’une des boutiques de la rue marchande. Aux prises avec sa contemplation du profil de son congénère, la petite darkness ne prit pas la peine de noter le nom du magasin, ainsi que le genre de produits qu’il proposait. Elle eut cependant la réponse, et ce, assez rapidement.
Contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer, Alice ne balaya pas l’intérieur de la boutique d’un large regard circulaire. Elle se contentait de regarder droit devant elle, levant un peu les yeux lorsqu’une nouvelle personne se manifesta à eux. Essayait-elle d’imiter Damien en se comportant de la sorte ? Qui sait ? Les yeux bleu roi détaillèrent tranquillement le visage de la jeune femme qui les salua. Ou plutôt, qui salua le juge. En effet, elle n’aperçut pas immédiatement la petite darkness et cette dernière ne pouvait pas le lui reprocher. Sa présence auprès de son congénère était pour le moins incongrue, ils ne formaient pas le couple idéal tel qu’on se le représentait ordinairement. A cette idée, la réaction d’Alice ne se fit pas attendre : elle saisit la main de Damien dans la sienne. Ce geste pouvait signifier beaucoup de choses : elle pouvait aussi bien être sa jeune sœur, qu’une amie ou encore une amante. Seule la dernière possibilité intéressait la petite darkness et elle se surprit à espérer de tout cœur que le message serait suffisamment clair aux yeux de sa rivale. Devant l’invitation polie de cette dernière, la jeune fille leva tout d’abord les yeux en direction de Damien, comme pour attendre son accord, ou tout simplement que l’intéressé la rassure, avant de finalement emboîter le pas à la vendeuse. Les robes se succédaient devant elle et Alice ne savait laquelle choisir. Sans compter que son visage impassible avait de quoi décourager son interlocutrice. Alors la petite darkness se tourna vers son congénère :
« Je ne peux pas choisir. »
Vu de l’extérieur, cela ne faisait aucun doute que la dénommé Marine allait la considérer comme une enfant gâtée, trop pimpêche pour afficher ouvertement ce qu’elle pensait en compagnie d’autrui, notamment une simple vendeuse. Ici, le client était roi. Alors que dans le fond, Alice ne faisait qu’énoncer un fait. Elle ne pouvait véritablement pas trancher entre les différentes robes que la jeune femme lui présentait et cette dernière aurait bien du mal à prendre des initiatives devant le si peu d’expression venant de la demoiselle. Curieusement, le choix fut relégué au juge, lequel n’était pas vraiment concerné par tout ce remue-ménage. Ce fut le moment que choisi le propriétaire des lieux pour apparaître.
« Ah ! Monsieur Corbyn ! Quel plaisir de vous voir ici ! Si je ne me trompe pas, vous êtes déjà passé la semaine dernière. Auriez-vous un problème avec votre costume fraîchement acquis ? »
Un homme de haute taille, à la coiffure étrange et porteur de petites lunettes – qu’Alice soupçonne plus tard de n’être là que pour la forme et non la vue – jaillit du fond de la boutique, sans doute reliée à son atelier. En dépit de son allure de punk et ses manières quelques peu efféminées, le nouveau venu demeurait très bien habillé, malgré la barbe qu’il arborait fièrement, et ne dénotait pas du tout dans ce type d’environnement. Après les avoir observés, la petite darkness en conclut qu’ils devaient se connaître, sans doute que son congénère se rendait fréquemment dans cette boutique. Il suffisait de voir comment la vendeuse l’avait accueilli avec une extrême courtoisie. Tout le monde n’était pas capable de devenir un client régulier de ce genre de magasin, alors les quelques privilégiés avaient droit à de nombreuses attentions. Alfred Montignard serra longuement la main du juge, sans jamais cesser de lui sourire. Même quand on lui apprit la raison de la venue de Damien, son sourire ne disparut pas. Ce fut à peine s’il diminua légèrement lorsque son regard se posa sur la jeune fille.
« Doux Jésus, quel merveilleux petit ange ! Non mais regardez-moi ce teint de porcelaine ! Et ces yeux, hmmm, divins ! Quel dommage qu’elle ne soit pas un peu plus souriante… Ah, mais pour pareille poupée, les robes présentées en magasin ne suffiront pas. Laissez Marine, je m’en occupe personnellement. »
Un claquement de doigts suffit. La parole de l’homme faisait office de loi en ces lieux. Et autant il savait se montrer avenant et courtois, autant Alfred Montignard faisait preuve d’irritation exagérée comme seuls les artistes contrariés savent l’illustrer. Sans réellement tenir compte de l’avis de l’un ou l’autre de ses deux clients présumés, le couturier de génie les emmena dans une petite salle, adjacente à la boutique et reliée à son atelier. Celle-ci comprenait bien entendu une cabine pour permettre aux rares privilégiés invités à la découvrir, de se changer. On pouvait imaginer l’impatience de futures mariées découvrant doucement ce qu’elle allait revêtir le jour J. Ce n’était pas le cas d’Alice, bien au contraire. Pourtant, la petite darkness se vit tour à tour affublée de robes à rubans, de toutes tailles et couleurs, ce qui la faisait effectivement ressembler à une petite poupée. Le couturier s’autorisa même quelques folies, lesquelles revêtissaient des allures de cosplays détournés, tellement les signes propres aux rôles féminins que l’on pouvait imaginer dans de pareilles tenues, étaient visibles. L’espace d’un instant, Alice découvrit même la joie d’être transformée en soubrette élégante !
« Hmmm… Pas assez sophistiqué. » commentait Alfred en même temps qu’il la détaillait sous tous les angles. Il faut dire que l’absence de caractère – ou même d’agacement – chez la jeune fille, donnait matière au couturier d’explorer son imagination débordante. « On peut oublier les couleurs pastel, sur vous Mademoiselle, le sombre vous va à merveille ! Qu’en-pensez-vous Monsieur Corbyn ? N’est-elle pas ravissante ? A croquer ? »
Difficile d’imaginer qu’un homme au tempérament froid comme celui de Damien, parvenait à supporter l’exubérance artistique du couturier. Sans doute que le talent de ce dernier en matière de vêtements de luxe y était pour beaucoup… Néanmoins, de là où elle se trouvait Alice sentait pointer un début d’irritation chez son congénère. |
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