A la recherche du professeur Ridel [Terminé]

Il y a parfois des jours où l'on se dit qu'on aurait mieux fait de rester au lit toute la journée, de refuser de se lever en oubliant d'armer son réveil afin qu'il nous contraigne à ouvrir les yeux pour émerger doucement du sommeil. C'était en tout cas ce que Jilan était en train de se dire alors que ses collègues et lui se concertaient à propos d'un énième conseil de classe. Il enchainait les réunions depuis la fin de la matinée, quelle idée aussi de tout programmer le même jour ! Le jeune professeur en avait plus qu'assez d'entendre se répéter les mêmes choses. Dire qu'untel était doué dans une certaine matière mais qu'il ne progresserait jamais s'il n'améliorait pas ses résultats dans les autres domaines. Il n'avait qu'à se contenter d'être bon en sport et de devenir tueur à gages plus tard. Bien sûr, ce n'était pas des choses à dire devant d'autres personnes, qui s'efforçaient de faire leur travail avec sérieux, il s'agissait de l'avenir de leurs élèves, aussi le Lightness garda pour lui ses idées. Il écouta ses collègues prendre la parole tour à tour, prêtant une oreille distraite à ce qu'ils pouvaient bien raconter. Il était demandé à chaque représentant du corps enseignant, de préparer une évaluation collective et individuelle avant le début des conseils, afin de faciliter le travail à toute l'équipe. C'était chose faite et Jilan avait eu le temps de mémoriser par coeur, son opinion sur chacun des élèves qu'il avait sous sa responsabilité. Bien entendu, ce n'était pas très glorieux, rares étaient ceux et celles qui parvenaient à lui soutirer des compliments. Non, pour être honnête, personne n'y parvenait. Il trouvait toujours quelque chose à redire sur le comportement ou le travail fourni. Même les efforts mis en oeuvre pour le satisfaire passaient inaperçus à ces yeux. Strict ? Exigeant ? Et alors ? S'ils voulaient espérer réussir dans la vie, qu'ils ne s'attendent pas à de la compassion de la part de leurs futurs employeurs. Aussi, pour revenir à la situation présente, il se contentait de faire vaguement acte de présence en lâchant quelques mots par-ci, par-là sur tel ou tel élève, s'attirant parfois les regards réprobateurs de ses collègues. Il les ignorait superbement, lorgnant de plus en plus en direction de la cafetière, posée bien en évidence sur l'un des meubles de la petite salle circulaire. En temps normal, il aurait préféré un tout autre breuvage mais comme le règlement intérieur interdisait l'alcool dans l'enceinte du lycée, il devait se contenter du café, offert gracieusement par l'établissement. A ce rythme, il allait finir par y être accro...

Au bout du compte, quelqu'un, quelque part, décida de mettre fin à son supplice et la sonnerie marquant 18h finit par retentir dans les locaux, pratiquement déserts, du lycée. Un soupir de soulagement franchit malgré lui, les lèvres du Lightness. Comme toujours, son humeur s'était assombrie avec les derniers rayons de soleil, vivement que les beaux jours reviennent. Rangeant soigneusement -mais le plus vite possible- ses notes, il repartit en direction du bureau qu'on lui avait attribué. Il devait y récupérer un tas de copies à corriger et préférait s'en occuper directement chez lui. Au moins, personne ne risquait de le déranger au beau milieu, si ce n'est peut-être une certaine personne... Essayant d'évacuer les frustrations de la journée et saluant brièvement ses collègues, il emprunta les longs couloirs du lycée pour se rendre jusqu'à la petite salle située au premier. Ce n'est qu'en arrivant au bout du couloir qui le mènerait à son bureau, qu'il remarqua l'étrange aura qui imprégnait les lieux. Un peu comme la trainée d'un parfum féminin qu'une inconnue aurait laissée derrière elle. Quelque chose d'affreusement familier mais sans qu'il puisse mettre un mot dessus. Agréable et dérangeant à la fois. C'était la première fois qu'il percevait ce genre de sensation et il s'interrogeait sur l'origine d'une telle émanation quand une voix se fit entendre à quelques mètres devant lui.

« Bonjour, vous êtes bien Mr Ridel ? J'aurais aimé vous parler. »

Allons bon ! C'était quoi encore ? Il avait fini sa journée et on venait le harceler jusqu'à son propre bureau ? Sur le moment, Jilan eut purement et simplement, envie de tourner les talons et de faire comme s'il n'avait rien entendu. Mais il y avait cette aura si étrange dans les parages. Peut-être même qu'elle provenait de cette femme qui le cherchait désespérément dans une pièce où il ne se trouvait pas de toutes évidences. Le timbre de sa voix ne lui était pas familier. S'il s'agissait d'une nouvelle enseignante, alors il aurait dû en être informé. Lui qui avait hâte de rentrer chez lui, cela semblait mal parti. Fronçant les sourcils, il pesa le pour et le contre et finalement la curiosité l'emporta sur tout le reste. Il poussa un léger soupir et se dirigea d'un pas assuré vers la belle inconnue. Les femmes ne l'avaient jamais fais fuir auparavant, ce n'était pas ce soir que cela commencerait. Peut-être même qu'elle prendrait la fuite avant lui qui sait ? A moins qu'il ne finisse par prendre du plaisir dans cette rencontre imprévue ? Le hasard avait parfois du bon. Silencieusement, il arriva jusqu'au niveau de la demoiselle. Absorbée par l'attention qu'elle portait en direction d'une pièce vide, elle ne semblait pas l'avoir remarqué alors qu'il s'était rapprochée d'elle. Le Lightness aimait jouer sur la surprise, il espérait ne pas être déçu. Il avait retrouvé un semblant de bonne humeur et un sourire indéchiffrable ornait ses lèvres.

« Lui-même. Parlez donc, je vous écoute. » lança t-il soudain, à quelques centimètres d'elle.

La réaction de la jeune inconnue fut prévisible au delà du possible. Allait-elle s'imaginer qu'elle allait passer une soirée tranquille si le jeune professeur n'était pas arrivé ? Ou bien s'interrogeait-elle sur la nature de la personne qu'elle était venue quérir, puisqu'elle semblait l'avoir ratée ? Dans tous les cas, elle ne l'avait pas vu remonter le couloir dans sa direction et entendre soudain la voix du Lightness à côté d'elle, lui avait fait peur. Dans sa surprise, elle bouscula légèrement Jilan mais cela l'amusa plus qu'autre chose. Comparée à celle de la louve, la force de cette femme était ridicule. Rien à craindre de ce côté et il balaya d'un sourire, les excuses que l'inconnue proféra pour ce geste. Il s'attendait à ce qu'elle enchaine sur les présentations ou, au moins, sur le motif de sa venue. Au lieu de cela, un silence s'installa entre eux, pendant lequel elle l'étudia avec attention. Le jeune professeur avait conscience que son physique attirait souvent les regards -il ne passait pas facilement inaperçu- et cela était aussi bien un avantage qu'un inconvénient pour lui. Il préférait rester discret dans ses activités mais un peu d'assurance était la bienvenue quand il s'agissait d'encadrer de futurs délinquants. Comment ça il n'avait aucune conviction dans les devoirs de l'Education Nationale ?? Le Lightness appréciait moyennement se faire dévisager de la sorte, d'autant qu'il était plus que certain que l'aura qu'il avait perçu plus tôt provenait bien de cette femme, mais il préféra mettre ce court instant à profit pour l'observer à son tour. A première vue, elle n'avait rien d'extraordinaire et il comprenait de moins en moins cette sensation particulière qu'il ressentait en étant à ses côtés. Il ne savait pas combien de temps il allait tenir avant de lui demander sans détours ce qu'elle pouvait être mais comme tout gentleman qu'il était, il ne pouvait pas l'interroger aussi brutalement, sans avoir échangé quelques politesses au préalable. Et optionnellement, avoir répondu à l'objet de sa visite, car il doutait que cela soit une visite de courtoisie. Il songea à reprendre la parole, pour l'encourager à poursuivre quand elle rompit d'elle-même le silence entre eux pour se présenter. Une nouvelle surveillante ? Pas étonnant que son visage ne lui rappelait rien. Il mémorisa tout de même son nom entier, d'une pour ne pas passer pour un goujat en l'oubliant par erreur et ensuite, pour le ressortir quand la situation l'exigerait. C'était toujours bon de connaitre l'identité de ses collègues, même si les relations entre professeurs et surveillants n'avaient jamais été très amicales, les premiers toisant régulièrement les seconds de leur piédestal.

« Enchanté Mlle Drya. Il semblerait que vous me connaissiez déjà, je ne vous ferai pas l'affront de me re-présenter devant vous. » déclara t-il en serrant la main qu'elle lui tendait.

Il y ajouta une légère inclinaison de la tête, pour saluer comme il le devait le faire vis-à-vis d'une dame. Il y avait du vrai dans ses propos, Jilan l'avait entendu prononcer son nom alors qu'elle ouvrait la porte de son bureau. Mais c'était aussi un moyen de conserver l'autre partie de son identité secrète. Au moins jusqu'à ce qu'il soit fixé concernant la jeune femme. Il possédait encore trop d'interrogations et de doutes à son encontre pour créer une proximité entre eux. Restait à voir si elle remarquerait sa manoeuvre pour laisser une distance entre elle et lui. Passées les présentations, elle sembla prendre conscience de se trouver sur le chemin du Lightness et elle s'écarta rapidement pour le laisser accéder à son bureau, ce dont il lui fut gré. Jilan ne perdit pas une seconde et entra, allumant la lumière au passage avant de commencer à tirer les quelques documents qui encombraient son bureau. Hormis ceux-là, tout semblait rangé et classé dans la pièce. Il en émanait un sentiment d'ordre presque surnaturel. Le jeune professeur appréciait que les choses soient à leur place et n'aimait pas tellement travailler dans un champ de bataille. Et quand il voyait parfois les torchons qu'on lui rendait en tant que devoirs maison officiels, il savait que certains de ses élèvres devraient apprendre à en faire autant. Il repéra assez facilement du regard, la pile de copies qu'il était venu récupérer. Quand son interlocutrice se mit à énoncer les raisons de sa visite, il l'écouta d'une oreille distraite jusqu'à ce qu'elle évoque l'histoire de ces fameux devoirs... S'immobilisant soudain, amusé de la situation, il prit place sur la chaise en face du meuble et tira à lui, une autre pile de copies, corrigées cette-fois. Il s'agissait simplement de celles, que les élèves, les mêmes dont parlait la jeune femme, lui avaient rendu la semaine dernière. Le Lightness ne connaissait pas encore cette fameuse Mlle Drya mais sa manie de venir se rendre compte par elle-même du travail du jeune professeur, sa façon de corriger ses copies, ne lui plut pas du tout. Mais il s'efforça de ne rien en laisser paraitre... Pour le moment.

« Je sais que, ce que je vais dire pourrait en décevoir certains, mais je corrige chacune des interrogations que j'impose à mes élèves, afin d'évaluer leur niveau. Quand aux devoirs que je leur donne, ils sont, bien entendu, obligatoires. Je ne sais pas ce que l'on vous a raconté sur ma façon de faire mais qu'est-ce qui vous donne le droit de venir enquêter sur moi ? La curiosité ? » expliqua t-il, en la quittant plus du regard.

Avec le recul, il avait parfaitement conscience que l'agacement qu'il éprouvait vis-à-vis des interrogations de la jeune femme, se ressentait à travers ses propos. Jilan ne voulait pas paraitre grossier ou autre, loin de là. Sauf que les questions mêmes de son interlocutrice lui semblaient déplacées et stupides. Ne pas corriger ? Devoirs non obligatoires ? N'était-ce pas l'objectif de l'école que d'enseigner ? Comment le pourrait-elle si les élèves avaient tous les droits ? Tout en réfléchissant à cela, il se demanda ce qui avait bien pu pousser cette Mlle Drya à s'interroger de la sorte. Doutait-elle du travail d'un représentant du corps enseignant, simplement parce que quelques gamins l'avaient induite en erreur à son sujet ? Il est vrai que sa classe de terminale n'était pas réputée pour être la plus tranquille qui soit mais il était certain d'avoir mis les points sur les i avec eux.

« Je suis impressionné que les élèves aient autant d'influence sur vous... Etes-vous vraiment faite pour ce métier ? »

L'agacement qu'il avait éprouvé en entendant la raison de la présence de la jeune femme dans son bureau à cet instant précis, sembla se communiquer à son interlocutrice. Légèrement surpris qu'elle ne reprenne pas la parole, le Lightness l'avait observé attentivement. Pour une fois, il n'avait pas envie de lire à travers son coeur pour percer à jour les sentiments qui l'habitait. Le corps de la surveillante s'était raidi, sans doute parce qu'elle était moins à l'aise avec lui mais peut-être aussi parce qu'elle n'appréciait pas sa façon de dire les choses ? Etait-elle seulement capable d'éprouver autre chose que de l'intimidation en sa présence ? Les yeux hétérochromes remontèrent ensuite lentement en direction du visage de Nephtys pour voir qu'elle retenait quelques mots cinglants derrière ses lèvres. Futile tentative, sachant ce qui allait suivre. Mais ce qui le renseigna le plus sur l'état d'esprit de la jeune femme fut certainement ses yeux. D'une couleur très claire, ils brillaient pourtant d'une sourde colère au fur et à mesure qu'il achevait son discours. Pour un peu, cela l'aurait presque amusé sauf qu'il n'avait tellement apprécié les questions de la surveillante. Il n'allait pas s'en cacher. Finalement, il s'interrompit et elle enchaine de suite après lui. Avait-elle compris que retenir ses paroles ne l'aiderait pas ? Que s'il s'était montré franc et direct avec elle, ce n'était pas pour qu'elle use de la langue de bois par derrière ? Le Lightness ne se doutait pas qu'elle userait du sarcasme avec autant de facilité, pour quelqu'un qui avait été surpris pour si peu. Elle semblait avoir quand même un peu de caractère derrière ses sourires polis. Tant mieux, ce n'en serait que plus amusant par la suite. Il l'écouta tranquillement, cessant toute activité par la même occasion. Il ne voulait pas rater la moindre de ses paroles, tant la réaction de son interlocutrice l'amusait, effaçant peu à peu l'agacement qu'il avait ressenti avant. Quand elle eut fini ses deux longues tirades, il ne put s'empêcher d'éclater de rire. Non, pas l'un de ses rires froids qu'il avait d'habitude quand de sombres projets l'habitait ses pensées. « La conscience tranquille » ? Si seulement elle avait la moindre idée de ce dont elle parlait quand elle abordait ce sujet délicat. L'espace d'une fraction de secondes, il se risqua à croire qu'elle avait peut-être le don de lire dans les pensées ? Après tout, son aura n'était pas celle d'une humaine, il n'en doutait plus. Et si jamais son hypothèse se révélait vraie, alors il risquait gros. C'était peut-être la raison qui l'avait poussé à parler de la conscience du professeur ? Non, si elle était dotée de ce don rare, alors elle n'aurait pas eu à l'interroger pour obtenir les réponses à ses questions.

Son fou rire passé, il se reprit, ou du moins, essaya t-il. Malgré le manque d'attention dont il avait preuve en s'abandonnant au rire, il avait retenu les propos ironiques qu'elle lui avait répliqué. Peut-être qu'au fond, elle avait probablement mieux à faire que venir l'importuner -ou presque- au sujet d'un détail insignifiant aux yeux de Jilan. Quoique, avec le recul, il se posait vraiment la question. Qui donc serait restée aussi tard pour le travail et aurait tout de même pris le temps d'un entretien pour évoquer la situation des élèves ? Pourquoi une surveillante comme elle se préoccupait-elle autant de ces petits morveux ? Elle n'avait rien de mieux à faire ? Sortir ? Aucun travail supplémentaire tel que la correction de copies ou la préparation des cours à venir, n'attendait les surveillants chez eux non ? Contrairement aux enseignants, leur charge de responsabilités était moindre. Le Lightness se fit la réflexion, que cette Mlle Drya était peut-être mieux qualifiée pour ce travail que lui en fin de compte. Ironie du sort ? Pour revenir à leur situation, elle se plaignait de son manque de tact et de ses accusations déplacées ? Parce qu'un surveillant qui venait questionner un professeur sur ses méthodes n'était pas une manoeuvre déplacée peut-être ? L'agacement revint vite à la charge mais il devait au moins reconnaitre que sa dernière pique à l'intention de son interlocutrice était peut-être de trop. Même si elle aurait au moins pu avoir la décence de la prendre comme un compliment ? Une façon subtile de lui dire qu'elle était au-dessus de ce travail de nounou-remplaçante de professeur ? Non ? Tant pis. Mais qu'elle ne compte pas sur ses plus plates excuses. Comment ça il était mauvais comme la peste ?? Jilan reporta son attention sur elle, de nouveau calme. Il aurait cru qu'elle serait partie, sitôt sa réplique achevée, histoire de mettre les points sur les i avec lui avant de vaquer à ses occupations. Pourtant elle restait là, à contempler étrangement par delà la fenêtre. En quoi le paysage de fin de journée était plaisant à regarder ? Les couleurs perdaient de leur intensité, les ombres s'étiraient sous vos pieds et un voile de ténèbres recouvrait lentement mais sûrement, la ville. N'avait-elle vraiment rien de mieux à faire en fin de compte... ? Las d'attendre autre chose de sa part, il se décida à prendre la parole.

« Il est vrai que je n'aurai pas dû critiquer votre choix de profession, c'était... maladroit de ma part. J'aurai dû prendre en compte, le fait que vous soyez nouvelle dans l'établissement, que vous n'êtes pas encore tout à fait à l'aise avec la manière de faire de chacun. Je vous ai réservé un accueil des plus glacials, je m'en excuse. »

La curiosité l'emportait de nouveau. Il aurait pu la congédier sur-le-champs, à lui répondre de cette manière. Ou bien lui faire comprendre qu'il avait mieux à faire ailleurs également et qu'il quittait son bureau, la laissant libre d'apprécier une pièce vide à sa juste valeur. Sauf qu'il ne savait toujours pas qui elle était vraiment -en dehors de son nom et de sa profession- et il souhaitait obtenir davantage d'explications au sujet de cet étrange impression qu'il ressentait à son contact. Lui poser directement la question aurait été étrange, les Lightness n'étaient pas une race foncièrement répandue au sein de l'Avventura, ainsi que dans le reste du monde. Ce serait se dévoiler lui que de lui mettre la puce à l'oreille en évoquant cette race. D'autant qu'il n'était même pas certain qu'elle en soit une également. N'étaient-ils pas sensés porter une marque de leur renaissance en tant qu'immortels ? Si c'était bien le cas, cette femme devait en posséder une aussi, au même titre que le tatouage qu'il possédait sur le torse. Mais alors qu'il l'observait en silence, perdu dans ses pensées, ne sachant pas trop quoi faire pour entretenir la conversation entre eux, quelques mots s'échappèrent des lèvres de la jeune femme. Comme une sorte d'excuse pour s'être également emportée vis-à-vis de lui ? Peut-être. Jilan y prêta vaguement attention, plus concernée par ce qu'elle était que ce qu'elle voulait faire croire d'elle mais ses paroles l'intriguèrent. Pour la première fois depuis leur rencontre imprévue, la surprise put se lire sur les traits du Lightness. Non, c'était trop pour n'être qu'une coïncidence, ou bien, en savait-elle plus qu'elle ne l'affichait au premier abord ? Laissant trainer d'étranges sous entendus, pour le faire se trahir ? Il se dit qu'il devenait un peu trop paranoïaque avec ce genre de pensées.

« L'humeur décline avec la lumière ? Je connais ça. Je ne voudrais pas vous retenir, si vous préférez rentrer maintenant pour vous reposer, je comprendrai. J'allais partir aussi. » déclara t-il en rangeant les copies, prêt à quitter le bureau.

En y réfléchissant bien, si le jeune professeur l'avait enjointe à rentrer chez elle pour se reposer, ce n'était pas uniquement pour cette raison, aussi bienveillante était-elle. Il n'avait plus rien à faire dans cet endroit, pourquoi s'y attarderait-il ? Jilan espérait seulement que son interlocutrice n'avait pas pris cette remarque comme une manière polie de la congédier mais plutôt comme une semi-invitation à poursuivre leur conversation ailleurs. Bien sûr, c'était sans compter sur ses affaires qu'il devrait transporter avec lui, si jamais il finissait la soirée dans un bar en sa compagnie. Ou peut-être même ailleurs, dans un lieu que nul n'aurait osé imaginer, qui sait ? Ils venaient à peine de se rencontrer et surtout, n'étaient pas partis sur le bon pied dès le départ. Et il fallait remédier à cela, rapidement. Le Lightness n'avait pas spécialement envie d'avoir une emmerdeuse sur le dos, toujours à le surveiller et à lui rappeler les devoirs que son travail exigeait. Autant faire en sorte qu'elle n'ait plus à se méfier de lui. D'une, pour être tranquille mais aussi pour en apprendre davantage sur elle. Les quelques indices qu'elle lui avait fourni, n'étaient pas suffisant, parvenant tout juste à faire émettre une vague hypohèse sur la nature de la jeune surveillante. Jilan ne parvenait définitivement pas à se défaire de l'idée qu'elle puisse être de la même race que lui. Non pas qu'il se sentait seul ou regrettait de n'avoir pas croisé d'autres individus comme lui, car, dans un sens, cela le rendait unique dans cette ville et il en était pleinement satisfait. De plus, sa condition de Lightness le rendait presque insoupçonnable face aux tueries répétées qui se perpétraient au sein de l'Avventura. Mais si cela était vrai et qu'elle était aussi un être de lumière... Pour être tout à fait honnête, il ne saurait pas trop comment réagir en apprenant la nouvelle. Devait-il la considérer comme étant égale à ce qu'il était et la respecter pour cela ? Ou au contraire la voir comme une rivale, une menace pour lui ? Les Lightness étaient généralement soucieux de faire le bien autour d'eux, du moins, c'est ce que l'on prétendait sur eux. Si cette femme avait les mêmes idéaux pacifiques alors il était certain qu'ils ne s'entendraient pas. Et si elle n'était pas une alliée potentielle... Autant l'éliminer tout de suite non ? Lightness ou simple mortelle. Cela ne faisait pas de différence.

Il apprécia qu'elle n'ait pas réagi comme une gamine vexée lorsque le rire avait franchi ses lèvres. Sinon, elle aurait grandement baissé dans le peu d'estime qu'il lui portait déjà. Les excuses qu'il avait proféré à son égard semblait l'avoir détendue un peu. Parfait. Jilan ne pouvait pas se permettre de céder aussi facilement à ces fréquentes sautes d'humeur sitôt que le soleil disparaissait de l'autre côté de l'horizon. Cela risquait de se faire plus d'ennemis qu'il ne voulait en avoir pour le moment. Le jeune professeur ne fut pas surpris de voir qu'elle acceptait de remettre à plus tard la suite de leur conversation, si toutefois elle supportait de se retrouver en sa présence une fois prochaine. Rien n'était moins sûr. Si Nephtys affichait un petit sourire lorsqu'elle avait reprit la parole, elle devait probablement conserver un avis plus que mitigé sur son interlocuteur. Quoi de plus normal ? D'abord il l'avait surprise, ensuite il s'était montré excessivement froid et distant avec elle pour finalement lui rire au nez. Bon, ce n'était pas méchant dans le fond, les réflexions sarcastiques de la nouvelle surveillante l'avaient réellement amusé mais pas au point qu'il se moque d'elle ouvertement. Même si son comportement pouvait paraitre étrange et susciter l'impression inverse chez la demoiselle. Il en avait conscience et préférait faire profil bas vis-à-vis d'elle pour l'instant. La jeune femme le salua brièvement pour prendre congé de lui et il leva les yeux des copies qu'il s'affairait à ranger pour la regarder s'avancer vers la porte. Le Lightness était presque déçu qu'elle abandonne la partie aussi facilement. Ce n'était pas à lui de prouver qu'il désirait rester en sa compagnie plus longtemps, vu les propos glacials qu'il avait pu lui dire. Il comprenait qu'elle ne désirait pas demeurer dans cette pièce une seconde de plus, malgré le calme apparent qu'elle affichait. Y compris pour son amour propre, il n'allait pas la retenir. Etant donné qu'ils travaillaient au même endroit, le hasard ferait bien les choses en la mettant de nouveau sur sa route, à plusieurs reprises, afin qu'il découvre la créature qui se cachait réellement derrière Mlle Drya. Jilan sentait que cette question sans réponse allait lui rester en mémoire pendant un moment, peut-être pas au point de l'empêcher de dormir mais quand même... Il s'apprêta à la saluer en retour quand elle se retourna une dernière fois pour... lui proposer de se retrouver autour d'un verre ?

« Est-ce encore l'un de vos sarcasmes ? Je ne vois pas pourquoi vous devriez me remercier pour quoique ce soit. Pour vous, comme pour moi, la soirée s'annonce longue mais j'accepte volontiers votre invitation pour une prochaine fois. » répondit-il en arquant un sourcil d'abord puis terminant sa réplique sur un discret sourire.

Bien que surpris par l'initiative de la jeune femme, le Lightness n'en montra rien. Il ne comprenait pas la raison d'une telle proposition, sauf si peut-être, Nephtys changeait ses plans à la dernière seconde, juste histoire de voir la tête qu'il ferait après qu'elle se soit jouée de lui. Pour une fois, son charme naturel n'y était pour rien et d'habitude, c'était lui qui invitait, non l'inverse. Enfin, il était tout de même agréablement surpris qu'elle le prenne au dépourvu. D'une, parce qu'il préférait ce genre de femme et aussi parce que cela lui permettrait de la rencontre en dehors du lieu de travail. Les rapprochements entre collègues étaient parfois mal vus et propices aux rumeurs malsaines. Le genre de chose que les deux interlocuteurs n'apprécieraient pas forcément et dont ils se passeraient volontiers. Alors que se retrouver autour d'un verre, dans l'un des nombreux bars branchés -ou non- du centre ville, lui offrait d'autres possibilités, possibilités que ses talents de manipulateur étaient plus à même à exprimer. Concluant que sa réponse positive était tout ce que la jeune femme demandait avant de s'écliper, il attrapa sa sacoche noire, les précieuses copies conservées à l'intérieur et se rapprocha de la surveillante, ainsi que de la porte par la même occasion. Il la laissa sortir avant lui, question de galanterie me direz-vous. Jilan prit le soin de refermer la porte derrière eux, avant de se tourner vers la demoiselle, ayant retrouvé le même sourire indéchiffrable qu'il lui avait présenté lorsqu'il l'avait croisé, attendant devant son bureau.

« Je vous souhaite une bonne soirée Mlle Drya et ne vous inquiétez pas pour vos élèves. Je leur rappellerai personnellement le caractère obligatoire des devoirs que je leur donne. » déclara t-il, tout sourire, avant de tourner les talons.